L’anti-plage / L’Abattoir Théâtre : La muerte
L’Abattoir n’est pas viandeux, mais théâtral, et L’anti-plage n’est pas une destination vacances, mais une comédie cruellement mortelle.
"Le théâtre est un art imparfait et nous autres, on exploite ça." Eux autres, ce sont Mathieu K. Blais (le coq) et Mylène V. Rioux (la truie), respectivement auteur et metteure en scène de L’Abattoir, compagnie théâtrale sherbrookoise qui nous revient avec une nouvelle production, L’anti-plage.
Issu du milieu littéraire, le duo se distingue par son appropriation (et sa domination imagée) de l’objet théâtral. "Notre moteur, c’est la création, établit Rioux. On s’est même écrit notre propre petit compendium. On a pris le théâtre parce qu’on aime ça, mais ce n’est pas une finalité. Pour nous, c’est le texte qui prime. C’est axé sur le fond et non sur la forme."
En fait, L’Abattoir en a soupé des standards. "En 2011, on est tellement rendus proches du quatrième mur. Pourquoi faire semblant qu’on n’est pas au théâtre?" L’Abattoir carbure donc aux absurdités, qu’elles soient ludiques ou crasses.
Selon Blais et Rioux (conscients que la petite enregistreuse du journaliste roule toujours), leur discours est celui d’imposteurs. Toutefois, cela ne les a pas empêchés d’obtenir, subséquemment à un indéniable succès public, la reconnaissance de leurs pairs; la création de L’anti-plage fut subventionnée par différentes instances. Crédibles, les trouble-fêtes! "Il y a aussi qu’on en est à notre troisième production. Ça crée un effet", ajoute l’auteur.
Tabula rasa
Le texte de L’anti-plage est né de la mort de deux autres textes. La première entité se nommait Les distributeurs. "Cette pièce ressemblait beaucoup à Vietnam pour un grilled cheese [deuxième création de L’Abattoir]. C’en était le prolongement", se rappelle la metteure en scène.
C’est à l’aube de l’été 2010 que la terre trembla… et que L’Abattoir fit table rase. "La pièce était écrite aux trois quarts, précise Blais. Tout le casting était fait, mais pour des raisons personnelles, on a dû reporter. Je suis donc retourné à mon texte et j’ai décidé d’en changer l’orientation. Quand j’ai commencé L’anti-plage, ça sortait. J’écrivais des 13 à 14 heures par jour. Ce n’était pas une corvée. Je tenais un bon filon."
Pour Rioux, ce recommencement fut bénéfique même s’il fut crève-coeur de changer l’alignement. "Ça nous a fait réfléchir autrement. On a formé une équipe de gens avec qui on voulait travailler, mais tout le monde fut choisi pour son talent. Si on avait voulu travailler avec nos amis, ça aurait eu l’air d’un film de John Waters!"
Sea, death & sun
La mort sonnera plus d’une fois au cours de L’anti-plage; Mathieu K. Blais décrit sa pièce comme une hypertragédie. "Dans une tragédie, tous les personnages meurent à la fin, telle une hécatombe, mais là, ils meurent souvent. C’est un show sur la mort – ça ne parle que de ça -, mais c’est tout sauf dramatique. C’est la mort-spectacle."
En guise d’entrée en matière, il faut voir cette anti-plage comme une sorte de purgatoire, des limbes où le maillot de bain fait partie du code vestimentaire. "Ce n’est pas dit dans le show, mais on veut que le spectateur voie les personnages comme des gens probablement morts, qui se retrouvent dans un lieu qui pourrait être le paradis, et qui sont forcés de rejouer leur mort. C’est un peu du théâtre dans du théâtre. Tout se passe sur une plage, mais jamais elle n’est utilisée comme étant une plage. Les personnages vont la transformer en hôpital, en morgue… Le contraste me plaisait. C’est un sujet lourd, mais l’infirmier est en bikini ou en speedo."
Autre postulat: pour les 26 personnages que joueront les huit comédiens (Jasmin Boudreau, Danye Brochu, Gabriel Cloutier-Tremblay, Caroline Fontaine, Guillaume Gosselin, Sabrina Pariseau, Patrick Straehl et Valérie Toupin Delafontaine), la mort n’a aucun sens, aucune valeur, aucun impact. "Pour eux, c’est tout sauf un événement triste, confirme Blais. De cette façon, il y a plein de possibilités qui s’ouvrent. Par exemple, un médecin devant un patient qui se fout de mourir, comment définit-il son rôle?"
Face à ce joyeux carnage où l’humour noir gicle, les âmes sensibles doivent être prêtes à se blinder. "Par notre conception de la mort en 2011, cette banalisation peut parfois être choquante, convient la metteure en scène. Pour certaines répliques, je me demande comment ce sera reçu…" Par prévention, mettez de la crème solaire.
À voir si vous aimez /
Le théâtre de l’absurde, le film La mort vous va si bien de Robert Zemeckis, les vacances à la plage