Toxique : Sujets d’inquiétude
Avec Toxique, l’auteur Greg MacArthur et le metteur en scène Geoffrey Gaquère se penchent sur des peurs contemporaines qui ont quelque chose d’immémorial.
Il faut commencer par saluer l’initiative de Marie-Thérèse Fortin, directrice artistique du Théâtre d’Aujourd’hui: programmer la pièce d’un auteur anglo-québécois qui roule sa bosse avec succès depuis une dizaine d’années et dont la grande majorité du public francophone ne soupçonnait pas jusque-là l’existence. Le geste, noble en soi, l’est d’autant plus que le texte de Greg MacArthur, Toxique, traduit par Maryse Warda, vaut son pesant d’or, pose un regard à la fois acéré et sensible sur une société nantie, choyée, fortunée… et pourtant tenaillée par mille et une peurs.
La plus belle qualité de la pièce – qui appartient à ce qu’il est convenu d’appeler la dramaturgie post-11 septembre – est de transcender le drame familial en s’abreuvant au tragique, en orchestrant une vaste épreuve dont les protagonistes sortiront transformés à jamais. Dans la fatalité qui plane sur cette famille emblématique, typiquement nord-américaine, on retrouve l’ampleur de la tragédie, ses ramifications, son onde de choc. Ce n’est pas tous les jours qu’une chose semblable apparaît dans le paysage dramaturgique québécois. Ça mérite d’être souligné.
Après avoir été approchée dans un autobus par un individu qui lui paraît louche, peut-être un étranger, Hélène se lance dans une croisade pour persuader policiers et médecins qu’elle a été victime d’une attaque chimique, la cible d’un terroriste sans remords. Chez la femme dans la cinquantaine, qui a tout pour être heureuse, la détresse se change rapidement en paranoïa et le délire en folie. S’ensuit une bouleversante descente aux enfers, une chute dans laquelle Hélène risque bien d’entraîner son mari, son fils et sa fille.
On sent bien que le clan, dans sa banlieue aisée et conformiste, a toujours été une bombe à retardement, une accumulation de peurs, de craintes, de méfiances, d’angoisses et d’entraves. À vrai dire, aucun des membres de cette famille n’est parvenu à vivre selon ses désirs les plus profonds, ses convictions les plus viscérales. En ce sens, l’incident de l’autobus n’est qu’un déclencheur, un virus qui a mis au jour les failles d’un microcosme on ne peut plus dysfonctionnel, obligé les parents comme les enfants à affronter la dure réalité.
La mise en scène de Geoffrey Gaquère est aussi sobre qu’efficace. Dans un intérieur géométrique, réduit à sa plus simple expression, sous une surface de projection qui suffit à évoquer les différents lieux, les comédiens vont et viennent, se croisent sans jamais se rencontrer vraiment. Si Benoît Drouin-Germain et Sylvie De Morais sont tout à fait justes dans les rôles des enfants, le spectacle est porté par Élise Guilbault et Guy Nadon. La première trouve le dosage qui nous rend jusqu’à la toute fin hautement empathiques au sort de la mère. Le second rend avec beaucoup de précision, par une foule de petits gestes, la fragilité du père, sa douloureuse inadéquation.