Alexandre Fecteau / Changing Room : La fièvre des planches
Alexandre Fecteau a l’impression d’être en pleine création, alors qu’il prépare la reprise de Changing Room, une pièce qu’il a mise en scène au Drague en 2009. Rencontre.
Changing Room, une pièce de théâtre documentaire interactive sur les drag queens, a été créée au Drague il y a deux ans. Alexandre Fecteau (L’Étape), son metteur en scène, aimait bien l’idée de la présenter dans le milieu de travail réel des artistes (à l’époque quatre, aujourd’hui cinq) qu’il avait interviewés pour l’écrire (avec Raymond Poirier). Cela dit, le fait de la transporter au Périscope comporte également des avantages. Avec son équipe du Collectif Nous sommes ici, il a notamment pu construire la loge où se déroule une partie de l’action.
Côté loge
Lorsqu’on la visite à l’occasion de l’entrevue, la loge affiche déjà son style baroque, avec ses couleurs vives, ses coiffeuses dépareillées, ses costumes se répandant en froufrous, plumes et paillettes. Les spectateurs, qui se trouveront dans la salle voisine, y accéderont grâce à une caméra en direct (Eliot Laprise). "En ayant notre décor, on se permet des petites extravagances qui n’étaient pas possibles au Drague, commente Alexandre Fecteau. On a des plateaux pour faire des vues en plongée, un miroir sans tain…"
"Dans la loge, c’est le documentaire, poursuit-il. Tout ce qui se dit ici a été dit par les drag queens qu’on a interviewées." L’objectif étant de nous donner "l’impression d’avoir vu personnellement l’envers du décor". "Il y a tellement de raisons de ne pas exercer ce métier, et on en parle assez longuement dans le spectacle, mais ça ne fait que montrer à quel point ceux qui le pratiquent sont des bêtes de scène au sens le plus strict, observe-t-il. Il est très inspirant de voir des gens qui tripent tellement dans ce qu’ils font."
Côté cabaret
L’intérêt du metteur en scène pour les drag queens vient entre autres du fait que le caractère interactif de leurs prestations rejoint sa vision du théâtre. "Pour moi, la rencontre, les jeux avec le réel sont vraiment très importants." À ce propos, on peut mentionner – sans révéler les secrets du volet interactif de la pièce, à l’origine de moments apparemment très forts – que le but de l’exercice est aussi de donner au public "l’impression d’avoir vu un spectacle de drag queens".
Pour ce faire, la salle du Périscope se transforme en cabaret. "On ne l’aura jamais vue installée de cette façon! On veut que le public soit dépaysé, qu’il se permette de sortir de ses habitudes, qu’il sente qu’il peut participer, réagir." On aura droit à une dizaine de numéros de lipsync (quatre nouveaux), entrecoupés de segments d’animation et de témoignages où les interprètes parlent de leur expérience en tant que comédiens jouant des drag queens.
Au gré de pièces musicales en tout genre (hip-hop, country, pop, etc.), l’ensemble donne, selon lui, un bon aperçu de ce qui se fait dans le domaine, avec "des numéros grandioses côté costumes, des chorégraphies difficiles et rapides, un look-alike et des comédies". Dont un numéro de bouffon du personnage de Frédéric Dubois, de retour sur les planches après plusieurs années d’absence. "C’est tout un comeback!" s’exclame Fecteau.
Il s’agit d’ailleurs d’un spectacle particulièrement exigeant pour les comédiens (également Frédérique Bradet, Anne-Marie Côté et Martin Perreault). Non seulement sur le plan physique, parce qu’ils doivent "danser avec des talons hauts trop hauts". Mais aussi parce que, comme dans L’Étape, "les acteurs s’approprient l’accent des gens interviewés, gardent les accidents de la parole". Et étant donné que cette fois, les entrevues ont été filmées, ils doivent en plus imiter leur gestuelle.
Côté subversif, côté humain
Alexandre Fecteau remarque par ailleurs qu’il sera plus "trash" de présenter Changing Room au Périscope qu’au Drague. "Parce que là-bas, l’humour un peu primaire des drag queens va de soi. Pas ici. On est dans les affaires faciles, qui peuvent faire rire si tu décides que tu trouves ça drôle. On parle aux spectateurs, on commente leur habillement, on fait des blagues en bas de la ceinture. Ça fait partie de l’expérience d’un show de drag queens."
"Je pense qu’on comprend leur passion, leurs sacrifices, d’où elles viennent, qu’on voit des personnes, non des bibittes, constate-t-il au final. On a tendance à croire que ces gens exercent ce métier parce qu’ils ont des problèmes. Mais la plupart ont toujours fait de la scène de façon amateur et ça leur permet de continuer à danser, à faire rire du monde, à créer. Si on arrive à casser ce préjugé tout en divertissant le public, ce sera bien cool."