Martin Genest / L'opéra de quat'sous : Fruits de la criminalité
Scène

Martin Genest / L’opéra de quat’sous : Fruits de la criminalité

Martin Genest s’attaque actuellement au "plus gros morceau" qu’il ait eu à défendre en 10 ans de pratique en tant que metteur en scène: L’opéra de quat’sous de Brecht.

L’opéra de quat’sous de Bertolt Brecht, mis en musique par Kurt Weill, nous entraîne dans les bas-fonds de Londres, où Polly Peachum, la fille d’un riche commerçant, tombe amoureuse de Mackie le Surineur, un criminel. "L’histoire, très simple, est là pour une chose: en arriver à la fameuse chanson qui énonce de grandes vérités", explique Martin Genest.

"Brecht dit: vous avez beau nous demander d’avoir les meilleures vertus, si vous ne nous donnez pas à manger, on n’y arrivera jamais, poursuit-il. Tout au long du spectacle, les gens se trahissent les uns les autres, même ceux qui s’aiment, parce qu’ils n’ont rien à manger." S’ensuit une critique cinglante du système capitaliste, de la corruption. "Ça ne peut pas être plus actuel!" note-t-il.

Outre son désir de porter cette parole, le metteur en scène apprécie le "super terrain de jeu" que lui offre la pièce. Cette oeuvre brechtienne, où on s’adresse au public, lui a permis d’approfondir sa propre recherche sur la place du spectateur au théâtre (Festen, Octobre, Cabaret Gainsbourg, etc.). "J’ai essayé de trouver un procédé aussi puissant aujourd’hui que ça a pu l’être à l’époque. Je me sers beaucoup des codes de l’opéra", laisse-t-il planer quant à sa proposition, apparemment encore plus risquée que ses précédentes.

Afin de bien doser la légèreté de l’intrigue et le sérieux du propos, Martin Genest s’est beaucoup inspiré du cinéaste Emir Kusturica, qui marie admirablement "le burlesque, le grave et l’absurde". Dans l’esprit de films comme Underground et Chat noir, chat blanc, il a fait de Mackie non pas le gentleman habituel, mais un coké. "Ça a influencé la conception des costumes, le décor, le niveau de jeu de l’acteur", continue-t-il. De même, il est allé chercher un groupe s’inscrivant parfaitement dans ce style, l’Orchestre d’Hommes-Orchestres, pour assurer la musique (25 chansons).

Il a par ailleurs voulu concrétiser la dichotomie du titre (entre opéra qui réfère aux riches et quat’sous, aux pauvres), en opposant le Grand Théâtre et son public, d’une part, aux personnages et à leurs modestes moyens, de l’autre. "Pour moi, c’est une gang qui arrive avec son matériel, vient squatter la salle du Trident et raconte l’histoire de L’opéra de quat’sous", précise-t-il.

Avec la bande de Pupulus Mordicus, on pouvait également s’attendre à ce que des marionnettes soient de la partie. "On n’est pas dans la figuration. On est beaucoup plus proche de l’objet animé, prévient-il toutefois. L’élément central du spectacle est une espèce de grosse marionnette, qui change de personnalité au fur et à mesure de l’histoire."

Bref, Martin Genest joue sur les limites entre folie et réflexion, scène et salle, pour offrir une production qui, loin d’être ardue, prend plutôt des airs de fête. "J’ai créé, je pense, un chaos organisé. C’est foisonnant, croche, sale, ça bouge presque tout le temps. Les gens vont être étourdis et, peut-être, avoir le goût de revenir pour voir ce qu’ils ont raté", hasarde-t-il en terminant.