Villes mortes : Paradis perdus
Scène

Villes mortes : Paradis perdus

Le moins que l’on puisse dire, c’est que les Villes mortes de Sarah Berthiaume sont diablement vivantes.

Pompéi, Gagnonville, Dix30 et Kandahar, quatre Villes mortes qui sont, dans le plus récent spectacle d’Abat-Jour Théâtre, autant d’alibis pour parler d’amour, de désir, de consumérisme et de guerre. Quatre personnages, des femmes pleines de ressort, permettent à Sarah Berthiaume de dire haut et fort, sans une once d’apitoiement, la déliquescence de notre monde. Pour relier les contes, Bernard Lavoie a misé sur la force d’évocation d’un lit sans cesse déplacé, mais surtout sur Navet et Géraldine, dont la musique et les paroles constituent de savoureux commentaires.

Bien que Céliane Trudel ne ménage pas ses efforts pour le défendre, le premier conte est de loin le moins percutant. Cette histoire d’adultère a beau se dérouler dans un hôtel de Naples, non loin du Vésuve, qui on le sait a détruit Pompéi en 79 après J.-C., elle demeure plutôt banale. Les parallèles entre la catastrophe naturelle et la rupture amoureuse sont plus ou moins concluants. Ceux entre l’éruption dudit volcan et l’éjaculation de monsieur, guère plus heureux.

Défendu par son auteure, le deuxième conte, truffé de références télévisuelles et musicales kitsch ("Santa Barbara, qui me dira pourquoi j’ai le mal de vivre?"), est un vrai délice. Décrites par une jeune fille qui n’est pas près d’oublier cette soirée orgasmique, les retrouvailles des habitants de Gagnonville, une ville minière rasée dans les années 80, sont aussi drôles que tragiques. Le ton rappelle celui de Simon Boulerice, complice de Berthiaume.

Le troisième conte nous entraîne dans le Quartier Dix30 de Brossard, temple de la consommation, lieu de rassemblement par excellence d’une faune inquiétante. Stéphanie Dawson porte avec une conviction peu commune cette histoire où les zombies sont des douchebags qui menacent le monde de leur étroitesse d’esprit. On reconnaît bien là les préoccupations de l’auteure de Moribonds et ses affinités avec Rodrigo Garcia. Jouissif.

Dans le dernier monologue, campé à Kandahar et défendu avec nuances par Joëlle Paré-Beaulieu, il est question de Tim Horton et de Disney World, de monoparentalité, de princesses, d’affrontements et d’inégalités sociales. Un mélange de dérision et de tragique, de réel et de fantastique qui résume bien l’univers de Berthiaume, jamais nihiliste, rendant justice à ce qui meurt à petit feu aussi bien qu’à ce qui subsiste courageusement. Une auteure à suivre!