Marie Charlebois : Le temps des bilans

La dramaturge et comédienne torontoise Kristen Thomson s’est fait connaître avec la pièce solo I, Claudia, dans laquelle une fillette doit faire face au divorce de ses parents. Dans Attends-moi (The Patient Hour), montée pour la première fois ces jours-ci en français, l’auteure poursuit son exploration des relations familiales à l’heure des bilans. Marie Charlebois considère que Denis Bernard lui a fait un superbe cadeau en lui offrant ce texte. Pour la cofondatrice des Éternels pigistes, il s’agit d’une première collaboration à titre de metteure en scène avec La Manufacture.

À sa demande, la traduction d’Olivier Choinière propose une langue sobre, qui laisse la poésie se déployer ailleurs, dans les non-dits, les mouvements intérieurs et les liens qui se tissent ou qui refusent de se défaire. "C’est dans une langue simple, très quotidienne, mais la pièce est construite d’une telle façon que c’est d’une incommensurable complexité. C’est un regard sur ce qu’on est, mais ça transcende la réalité, et c’est ce que j’aime au théâtre, quand on peut décoller."

La pièce se déroule dans la chambre d’hôpital où repose Blanche Walker, la mère mourante de Charles et de Laura. Pour eux, le temps semble suspendu dans l’attente de la fin. Une jeune femme vient souvent errer par là et fleurir la chambre. Sous le regard bienveillant de l’infirmière, chacun regarde ce qu’il est, ce qu’il aurait pu être, ce qu’il a été. Soulignons que la pièce propose au spectateur un contrat inhabituel: occuper la place de la mère alitée. C’est donc du point de vue de la mourante qu’il aura accès aux quatre personnages qui la veillent. "C’est troublant, les acteurs vont s’adresser au public, carrément. Mais je pense qu’il se sentira d’autant plus concerné."

Au fil des relectures, Marie Charlebois a découvert avec fascination l’humanité de la pièce et son intelligence des relations familiales: "Ce que je veux faire ressortir, c’est le rapport qu’on a avec le regard de la mère sur soi, et le regard qu’on porte sur soi-même et qu’on aurait voulu que la mère ait. On ne s’en sort pas de la famille, à mon avis."

Si certains lieux appellent l’hyperréalisme, cette chambre-ci, pas du tout, croit la metteure en scène. Elle a donc demandé à la scénographe Danièle Lévesque de concevoir le décor en perspective, avec plusieurs murs et un miroir pour se jouer de la réalité, pour "garder ce côté fabuleux de la vision de la mère, l’impression de réflexion. Ce n’est pas un show flyé; c’est ce que la mère imagine, c’est son passage du rêve jusqu’à la mort, mais c’est aussi le temps des bilans. Elle fait apparaître ses fantômes, toute sa vie".

Marie Charlebois a réuni autour d’elle une équipe en mesure d’amener la pièce où elle le voulait, à commencer par les comédiens Valérie Blais, Normand Daneau, Rachel Graton et Marie-France Lambert. "Mon travail, c’est de construire un tableau, un tableau vivant où on perçoit toute l’humanité du texte. J’ai cherché la simplicité tout en gardant l’émerveillement."