Temps : Le temps qu’il faut
Avec Temps, Wajdi Mouawad revisite ses obsessions en donnant au destin d’une famille et d’une communauté de la Côte-Nord une portée mythique.
Les pièces de Wajdi Mouawad sont pour la plupart fondées sur une quête identitaire, elles mettent en scène des personnages engagés dans une courageuse remontée vers leurs terribles origines. C’est une fois de plus le cas. Les héros de Temps, comme ceux de Littoral, Incendies ou Forêts, ont hérité d’une histoire familiale éminemment tragique, d’un arbre généalogique aux branches cassées, brûlées ou encore abominablement tordues. Ces hommes et ces femmes ont des malédictions à conjurer, des mains à tendre, des pardons à accorder, des fautes à racheter, mais aussi, des vengeances à accomplir.
Vous aurez compris que la nouvelle création de Mouawad a de quoi ravir les amateurs de récits touffus et enchâssés, ceux qui n’ont pas peur de surfer sur les mythologies les plus diverses: de la Grèce antique au joueur de flûte d’Andersen en passant par la crise d’Octobre 70! Dans un Fermont imaginaire, envahi par les rats, Noëlla, sourde depuis que sa mère s’est immolée par le feu au coeur d’une forêt de sel, renoue avec ses frères, Edward, le soldat canadien de retour d’Afghanistan, et Arkadiy, venue de Russie.
Alors que leur père dépérit de jour en jour, frères et soeur ont une épreuve à traverser. Leur histoire est plus grande que nature. Sublime et grotesque, belle et sordide, c’est celle d’une survivance. Elle englobe et transcende nos vies. Tous les éléments sont réunis pour que la catharsis advienne. Ceux qui auront la chance de communier au destin de cette fratrie sortiront du théâtre en état de choc. Les autres seront probablement d’avis que trop c’est comme pas assez.
En deux heures dix, Mouawad aborde une foule de sujets parmi lesquels l’inceste, la pédophilie, l’effritement de la famille, la guerre, le capitalisme et l’environnement. Heureusement, la beauté côtoie l’horreur, l’humour désamorce le tragique. Aux aberrations sont toujours opposés l’art, la poésie et l’amour. Le metteur en scène déploie son récit avec l’essentiel: quelques accessoires, cruciaux; la lumière, souveraine; l’air, qui soulève les pans du mur de plastique en fond de scène; et la musique, notamment celle de Noir Désir dont une chanson, La rage, opère comme un mantra.
Judicieusement placés sur un plateau immaculé, les comédiens trouvent le juste dosage de tragique, racontent et accomplissent des actions plus qu’ils ne "jouent". Mention d’honneur à Marie-Josée Bastien qui, avec ses mains, son corps, chaque muscle de son visage, exprime de manière bouleversante la colère et la détermination de l’héroïne.