Geoffrey Gaquère et Olivier Kemeid : Chocs culturels
Scène

Geoffrey Gaquère et Olivier Kemeid : Chocs culturels

Inspirées des Lettres persanes de Montesquieu, les Lettres arabes de Geoffrey Gaquère et Olivier Kemeid plongent au coeur du débat sur les accommodements raisonnables.

Nourris par un pan de la culture populaire, inspirés par des films comme L’esquive ou des humoristes comme Jamel Debbouze, Rachid et Mouloud sont de ces personnages de la banlieue française qu’on ne rencontre jamais au théâtre. L’idée de les faire débarquer au Québec en pleine commission sur les accommodements raisonnables permettait à Olivier Kemeid et Geoffrey Gaquère de parler, sur un mode franchement comique, des travers de notre société.

Les deux personnages des Lettres arabes sont nés dans des soirées entre amis. Ce n’est que plus tard qu’est venu le propos, avec l’envie de fouiller ce qui les avait vivement interpellés dans la commission Bouchard-Taylor, sa couverture médiatique souvent sensationnaliste et ses interrogations sur la place du fond religieux dans le Québec moderne. "On a senti qu’il y avait dans les accommodements raisonnables quelque chose de formidablement théâtral, raconte Kemeid. Je me suis demandé pourquoi le théâtre ne s’emparait pas de cet immense débat de société, comme Françoise Loranger l’avait fait avec Médium saignant en 1969, à l’époque des débats sur la langue française."

Comme les personnages des Lettres persanes de Montesquieu en France, Rachid et Mouloud, échoués par erreur au Québec – ils se croient à New York et cherchent la statue de la Liberté au milieu des mille clochers -, poseront sur la société qu’ils découvrent un regard candide, révélant ses manques et défauts, mais aussi ses beautés, disant spontanément tout haut, et crûment, ce que personne n’oserait affirmer. "C’est la base du théâtre, explique Gaquère, la base du bouffon que de se mettre une bosse pour pouvoir dire ce qu’on pense."

Farce épique en cinq actes

L’épopée mariant théâtre et stand-up se divise en cinq actes liés par des fragments de correspondance électronique, modernité oblige, et compte une vingtaine de personnages secondaires, tous interprétés par les deux comédiens, qui se dirigent eux-mêmes en plus de signer le texte. "C’est un bon exercice de liberté que de toucher à tous les aspects du spectacle. On est un peu Dieu. Mais on ne peut pas contempler notre oeuvre le dimanche, parce qu’on est obligés de la jouer", dit Gaquère en riant, avant de parler du texte, truffé de références à la littérature d’ici, des poèmes ou chansons qui s’imposent à Mouloud et Rachid comme des épiphanies. En les colorant de leur accent, ils les "dénationalisent", en quelque sorte.

De Paris à Montréal, en bateau ou à BIXI (volé), les deux bouffons vont réagir sur le vif à ce qu’ils voient. "Ils sont prêts à tout accepter, à se révolter, à rire, poursuit Gaquère. En fait, le rire du spectacle en est un de résistance. C’est un rire intelligent, je pense. Les gens peuvent beaucoup s’amuser en venant voir ça, mais il faut qu’ils acceptent de se faire malmener un peu." "Et s’ils ne nous aiment pas, réplique son collègue du tac au tac, c’est qu’ils sont racistes parce qu’on est Arabes…" Spectacle à l’ironie mordante, donc, mais dont le rire entraîne aussi "une légèreté qui peut faire du bien, parce que, conclut Kemeid, non, l’autre n’est pas toujours une menace".