Édouard Lock : Authentique phénomène
Scène

Édouard Lock : Authentique phénomène

Édouard Lock fête le 30e anniversaire de La La La Human Steps au Centre National des Arts avec une création pour 12 danseurs. Retour sur l’histoire d’un succès fulgurant et jamais démenti.

Nul doute que les bonnes fées des arts flottaient dans l’air d’Essaouira au Maroc quand Édouard Lock y a vu le jour, en 1954, trois ans avant que ses parents n’élisent le Canada comme terre d’adoption. Engagé dans des études littéraires, ce fils de Marocain et d’Espagnole se passionne pour le cinéma quand le hasard l’amène à découvrir la danse. Coup de foudre. Révélation d’un talent naturel pour la chorégraphie. Dès sa première oeuvre, signée à l’âge de 21 ans pour le Groupe Nouvelle Aire, la critique souligne l’originalité de son style. Six ans plus tard, en 1981, il reçoit l’une des plus hautes distinctions chorégraphiques au pays pour Oranges, qui marque le début de sa collaboration légendaire avec Louise Lecavalier. D’abord appelée Lock Danseurs, sa toute jeune compagnie est rebaptisée La La La Human Steps.

Sollicité par des compagnies de ballet, Lock signe sa première oeuvre sur pointes en 1985. Viennent ensuite les folles collaborations avec David Bowie et Frank Zappa (un des souvenirs les plus touchants), Carole Laure et Lewis Furey, trois films sur la compagnie et, en 2002, une commande du Ballet de l’Opéra national de Paris qui lui rapportera un Benoit de la danse. Le virage vers la pointe amorcé avec Exaucé/Salt en 1998 s’affirme avec Amelia puis Amjad, et avec cette nouvelle création qui a déjà traversé 16 villes et six pays sans trouver de nom. Toujours aussi extrême, la danse de Lock s’est faite plus tendre et même plus lyrique. Et s’il ne sait dire ce qui l’attire encore dans l’usage de la pointe, à la question d’un rêve qu’il nourrit pour l’avenir, il répond en riant: "L’abolition de la gravité!"

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À l’instar d’Amjad, cette chorégraphie sans titre inspirée des opéras baroques Didon et Énée de Purcell et Orphée et Eurydice de Gluck nous relie à un patrimoine culturel devenu quasi universel en Occident dont elle offre une refonte totale.

"J’ai travaillé en étroite collaboration avec le compositeur Gavin Bryars pour choisir les sections des deux opéras qui pourraient s’imbriquer pour créer une nouvelle structure et je suis rentré dans les deux histoires sans en devenir dépendant, indique Lock. Je ne voulais pas que la narration devienne une cage pour le mouvement."

Construite comme un langage où les gestes sont les mots d’un discours indicible, la chorégraphie est truffée de références personnelles que l’auteur se garde bien de vouloir rendre lisibles: portée par la teneur émotionnelle de la musique, l’abstraction empruntera diverses voies de résonance pour toucher le public.

Les éclairages en clair-obscur auxquels Lock nous a habitués reflètent aussi ce choix d’un flou artistique volontaire. "Quand mon père dessinait, il couvrait toujours le dessin avec des ombres, ce qui avait le don de m’irriter, raconte-t-il. Je ne comprenais pas qu’il gâche ça avec des traits de charbon, des taches. Il disait que l’art se trouvait non pas dans le dessin, mais dans les interférences avec les traits. Peut-être que ça a fait son chemin…"

Aux côtés de Talia Evtushenko, Jason Shipley-Holmes et Zofia Tujaka, on découvrira les huit nouveaux danseurs de la compagnie et une invitée de prestige: la danseuse étoile du Ballet Kirov et de l’American Ballet Theatre Diana Vishneva. Pour deux soirs seulement.