Agamemnon : Le spectacle de la mort
Premier metteur en scène québécois à oeuvrer au sein de la prestigieuse Comédie-Française, Denis Marleau dévoilait lundi dernier sa riche vision de l’Agamemnon de Sénèque.
Prononcés par Cassandre, les derniers mots de la tragédie de Sénèque marquent au fer rouge. "Elle viendra / Elle viendra aussi dans votre famille / Elle viendra la folie". Bien entendu, cette terrible prophétie concerne d’abord la dynastie des Atrides, mais elle s’adresse aussi à nous, leurs héritiers, souvent désabusés, capables de faire la sourde oreille à la plus pressante des mises en garde, au plus perçant des cris de détresse.
La partition, ici traduite par Florence Dupont, était toute désignée pour Denis Marleau, un metteur en scène plus attiré par le sentiment tragique et la souveraineté de la langue que par les péripéties et les rebondissements. En effet, contrairement à Homère et Eschyle, dont il s’inspire, Sénèque privilégie la parole et les rouages de l’esprit plutôt que l’action. Il y a donc, quand on ose se mesurer à son Agamemnon, un espace mental à faire surgir, un cérémonial éminemment théâtral à instaurer, un songe à incarner. À ce genre d’exercice, on le sait, Marleau est rompu.
Songe tragique
Panneaux coulissants, éclairages spectraux, figurines-marionnettes et statues parlantes donnent vie aux monologues, facilitent la réception de ces plaidoyers d’une exigeante densité. Pour les choeurs, le metteur en scène a imaginé un mur drapé de blanc d’où surgissent des masques vidéographiques, de grands visages dont la dynamique fascine, mais un peu moins tout de même que dans Les aveugles ou Une fête pour Boris, où le jeu des comédiens était d’une plus grande précision.
Cela dit, en chair et en os, les interprètes sont tous convaincants, surtout Françoise Gillard en Cassandre et Michel Vuillermoz en Eurybate. Tout de même, un doute subsiste. Le registre adopté, disons généralement expansif, est si éloigné de ce à quoi Marleau nous a habitués qu’il y a lieu de se demander si le metteur en scène a obtenu de ses interprètes exactement ce qu’il voulait.
Quoi qu’il en soit, dans un heureux déploiement de signes, une réjouissante panoplie de codes théâtraux, le premier spectacle de Denis Marleau à la Comédie-Française exprime la portée intime et politique d’une oeuvre méconnue, fait brillamment voir et entendre la douleur et la fureur qui l’irriguent.
Jusqu’au 23 juillet
À la salle Richelieu de la Comédie-Française