Robert Lepage / La tempête : L'île fantastique
Scène

Robert Lepage / La tempête : L’île fantastique

Robert Lepage se disait depuis longtemps qu’il serait juste de monter La tempête de Shakespeare avec des autochtones. Il réalise enfin son souhait cet été à Wendake.

Tous ne perçoivent pas d’emblée le lien qui existe entre l’univers autochtone et celui de La tempête, "souvent considérée comme le testament littéraire de Shakespeare parce qu’elle contient toutes ses pièces, tous les rouages dramaturgiques de son oeuvre, comme un best of", rigole Robert Lepage. Mais pour lui, la relation est claire: "Shakespeare a vécu durant la période où on commençait à envoyer des bateaux dans le Nouveau Monde et sa dernière pièce parle de ça indirectement."

À preuve: elle se déroule sur une île de l’autre côté de l’Atlantique, où des Européens entrent en contact avec des créatures surnaturelles, autrement dit, des autochtones. "Shakespeare en fait des esprits ou des monstres, explique-t-il. C’est dire à quel point, dans le temps, dès que les gens voyaient quelqu’un d’une autre couleur de peau ou avec un habillement différent, des tatouages ou des plumes, ils le considéraient comme un animal."

Depuis longtemps, le metteur en scène se disait qu’il serait intéressant de confier les rôles de cette pièce à des acteurs de sang amérindien. La chanteuse innue Kathia Rock interprétera donc Ariel, esprit de l’air, tandis que Marco Poulin jouera le sauvage Caliban. "Il y a des chants, des rythmes, de la musique, des danses autochtones. Je voulais créer un métissage, que les langages, les spiritualités, les coutumes, les valeurs se rencontrent."

Cela dit, une des deux cultures demeure clairement au service de l’autre. Prospero (Jean Guy), ancien duc de Milan exilé après avoir été victime d’un complot politique, réduit les insulaires (ou wendats) en esclavage et se sert d’eux pour se venger de ses ennemis. "Sans faire de politique ni réhabiliter la pièce, parce qu’il faut quand même demeurer respectueux de la poésie de Shakespeare, on essaie de montrer la vision des colonisateurs. On met cet aspect en valeur et on corrige un peu la chose, en appelant les personnages à la tolérance, à la réconciliation."

Cette troisième mise en scène de La tempête pour Robert Lepage se démarque donc sensiblement des deux précédentes. "La pièce se passe en 1608, année de la fondation de Québec, note-t-il. Dans les autres cas, on avait tenté de changer l’époque. Mais là, pour mettre l’accent sur la rencontre des mondes autochtone et européen, il fallait lui être le plus fidèle possible. Je me suis beaucoup intéressé à ce que la période a de très avant-gardiste. Il s’agissait de faire un retour en arrière, d’essayer de réinterpréter le passé."

Enfin, le charme de l’environnement naturel qu’offre l’amphithéâtre de Wendake risque cette fois de retenir davantage l’attention que la dimension technologique du spectacle, modeste pour une production d’Ex Machina. "L’envoûtement vient de ce qu’on est dans un site extérieur. On entend les oiseaux, les grillons, les grenouilles", illustre-t-il avant de nous inviter à arriver tôt pour profiter de ce lieu enchanteur, "sous les arbres, à côté de la chute Kabir Kouba, sur le bord du canyon".