La grande sortie : Paradis en technicolor
Scène

La grande sortie : Paradis en technicolor

Après avoir inauguré le Petit Théâtre du Nord il y a quatorze ans, Jonathan Racine récidive cet été avec une comédie de moeurs, La grande sortie, un portrait désopilant d’une famille québécoise des années 1980 où la vulgarité se dissimule sous le fantasme kitsch.

Dans la cuisine parfaitement reconstituée du Québec de ces années-là, une mère de famille apprend qu’elle va mourir. Avant de disparaître, elle cherche ses "images à elle" pour reconstituer le film de sa vie. Projeté sur le mur du salon, un générique inscrit d’emblée la pièce dans l’univers cinématographique qui a fait rêver la mère: Barbra Streisand, La mélodie du bonheur, Dynasty. Elle attend désormais son paradis en stucco.

Le pièce valse entre des scènes de ménage où la famille règle ses comptes à coup d’insultes cinglantes et des scènes rose bonbon de reconstitution des souvenirs de la mère, avec grand déploiement musical et une projection grandiose de diapositives. Sarah Desjeunes et Sébastien Gauthier incarnent un couple bouffon d’enfants idiots que la mère, plus futée, traite comme des bêtes. Le père est séquestré dans une chambre à la suite d’un mystérieux accident. Impeccable en guidoune grimée, Mélanie St-Laurent joue la soeur rebelle qui déclenche, après douze ans d’absence, un nettoyage radical de la maison et des souvenirs de la mère. C’est pourtant par la soeur timorée, une Sarah Desjeunes puissante dans son irruption colérique, que l’odieux refera surface, faisant culminer la pièce vers des notes plus graves.

On regrette un penchant vers la caricature qui distille la force dramatique de l’oeuvre, mais on applaudit le risque assumé des tonalités variées, le rythme soutenu des dialogues et le jeu de Suzanne Garceau, fort convaincante en mère de famille bercée d’illusions, frileuse et forte à la fois. Saluons aussi la direction artistique sans laquelle cette reconstitution des années 1980 n’aurait pas été d’un mauvais goût aussi irrésistible. Jonathan Racine et Mélanie Maynard, qui a collaboré au texte, offrent une pièce à la symbolique lumineuse qui pèche parfois par excès, mais rend justice à l’univers emphatique du film hollywoodien dont se nourrit la mère: le rêve en technicolor de la classe ouvrière.