Deux ans de votre vie : L’amour au temps du conformisme
Avec Deux ans de votre vie, Les Biches pensives se moquent gentiment d’une époque où hors du couple, point de bonheur, et où les célibataires sont des gens malchanceux ou qui cachent quelque chose…
Inquiète de la santé mentale et physique de son frère Jérémie, que le célibat prolongé a rendu suicidaire, Brigitte échafaude un plan pour lui trouver une âme soeur. Ce sera Chloé qui tombera dans l’abracadabrant piège élaboré à l’aide d’un contrat bidon. Forcée de vivre en concubinage avec notre bel esseulé, la voilà qui succombe aux délices de l’intimité spontanée et de l’amour en accéléré: promesses enflammées et sexe à pas d’heure, petits surnoms doux et soirées thématiques…
Avec Deux ans de votre vie, la jeune dramaturge Rébecca Déraspe renoue par la bande avec une veine dramaturgique populaire à la fin des années 70: la comédie d’auscultation conjugale. Ici, le sujet n’est plus l’équilibre fragile entre volonté d’émancipation féminine et désir d’une vie à deux, mais plutôt la tyrannie de la relation à tout prix.
Sur un ton assez léger mais qui ne manque pas de piquant, Déraspe dresse le portrait d’une génération et d’une société qui ne distinguent plus trop les frontières entre sentiment amoureux et besoin de correspondre à la norme sociale: "On fait enfin partie du groupe!" s’exclame Chloé, ravie de ne plus faire son épicerie seule. On s’esclaffe devant cette critique joyeuse de la romance préfabriquée tendance 21e siècle dont les péripéties mériteraient tout de même d’être mieux rythmées (l’exposition traîne un peu).
En introduisant de nombreux passages narratifs dans son texte, l’auteure rend sympathiques des personnages qui dévoilent par petites touches rigolotes leur caractère névrotique. Dominique Leclerc, en célibataire endurcie et heureuse, et Annie Darisse, en jeune femme assez lucide pour flairer les clichés sentimentaux, mais pas assez forte pour ne pas y succomber, font preuve d’un naturel confondant. Face à elles, Benoît Drouin-Germain met plus de temps à doser son exaltation de suicidaire romantique.
Le metteur en scène Jacques Laroche, l’une des têtes pensantes de l’ingénieux Théâtre du Sous-marin jaune, laisse son trio d’interprètes bien dirigés prendre possession d’un espace où les éléments scénographiques (grandes fenêtres avec stores horizontaux, tables, chaises) se révèlent plutôt accessoires. Présentée à la salle Jean-Claude-Germain, cette troisième production estivale des Biches pensives (après Ça se dit pas et Nous sommes faits [comme des rats], montées à la Cinémathèque québécoise) confirme que ces filles pas bêtes du tout ont trouvé une niche – la comédie d’entre-deux-saisons – qui leur sied à ravir.