Martin Petit : Le citoyen Petit
Scène

Martin Petit : Le citoyen Petit

Observateur au regard acéré d’une société qui rit parfois d’elle-même pour ne pas pleurer, Martin Petit fait le portrait de l’humour québécois en même temps qu’il propose quelques théories sur ses fondements politiques et sociaux.

Sur scène, il est un conteur vif au débit torrentiel. En dehors, s’il demeure prolixe, il savoure modestement l’enthousiasme suscité par le film Starbuck, qu’il a coécrit avec Ken Scott, et l’enchantement que génère son plus récent spectacle qui dissèque les tabous modernes, intitulé Le micro de feu.

Forcé de se regarder et de s’analyser, Martin Petit ralentit et prend la mesure des choses.

Un peu comme sur son blogue, qu’il a parfois alimenté régulièrement -mais désormais un peu moins -, et où il commente l’actualité avec une acuité remarquable, l’humoriste pose un regard amusé sur le monde et ce qui nous fait rire.

"À part pour le iPhone, je ne pense pas que notre vie soit très différente de celle des Romains et je ne crois pas qu’au final, nos préoccupations sont très loin de celles d’un être humain du 14e siècle", dit-il presque tout à fait sérieusement… "Par contre, ce qui nous fait rire change très rapidement. J’adore travailler là-dedans, dans cette effervescence, parce que je suis toujours étonné de constater ce qui génère le plus de rires et de surprises. Mais le plus curieux, c’est qu’à la gang d’humoristes qu’on est dans le monde, on parvienne encore à écrire de nouvelles jokes, et qu’on puisse encore surprendre."

Une humanité prévisible, donc, mais qui serait capable de multiplier à l’infini les points de vue sur ce qu’elle est. Par exemple, la condition exceptionnelle du Québec serait en elle-même la fondation d’un humour riche et constamment novateur, avec la juste dose de tragédie nécessaire à la comédie. "On a notre humour à nous, un peu comme l’humour juif. Ou comme l’humour américain, qui ne cesse d’exorciser ses démons racistes et le clivage Noirs-Blancs, détaille Petit. Ici, on vit une situation politique tellement absurde… La grande majorité des Québécois ont l’impression de vivre dans un pays qui s’appelle le Québec. Ils savent rationnellement que ce n’est pas un pays, mais dans 99% de leurs actes, dans la manière qu’ils parlent, qu’ils réfléchissent et dans leur imaginaire, c’est comme si c’était déjà fait. Tout notre humour trouve ses bases dans cet inconfort-là, parce qu’il y a vraiment quelque chose d’étrange et d’absurde dans notre situation."

Absurde, à l’image de l’actuelle crise au Parti québécois, que l’humoriste commente, à la fois amusé par le ridicule de la situation et atterré par le constat qu’il en fait: "On est dans la comédie d’erreurs, c’est à la fois drôle et triste. Mais en même temps, c’est leur faute. Que les gens désirent autant de changement au Québec et que la souveraineté ne soit plus porteuse de ce changement… Faut le faire. Les gens censés faire la promotion de la souveraineté sont parvenus à rendre cette option tellement plate que les gens y voient de l’ennui. C’est un tour de force."

Pas étonnant, dans ces conditions loufoques et tandis que les grandes idées du siècle précédent comptabilisent les défaites, qu’une société qui veut tout et son contraire soit aussi attirée par le rire.

Inutile d’en remettre une couche: les humoristes sont nombreux et populaires chez nous. Mais ils sont aussi meilleurs qu’autrefois, et l’offre de plus en plus vaste.

"On est dans une période de maturité, abonde Petit. Par exemple, quand j’ai commencé, le stand-up, c’était nouveau ici, alors que ça ne l’était pas du tout aux États-Unis. On avait du rattrapage à faire sur la forme, et aujourd’hui, on a vraiment notre personnalité. On ne fait plus de la copie des États-Unis ou de la France, on a développé une façon de faire, on a notre couleur. Il y a 20 ans, je regardais qui étaient les meilleurs humoristes, et il y avait Yvon ici, mais je regardais surtout du côté des Américains. Maintenant, les Québécois sont parmi les meilleurs."

La raison? Elle est simple: "C’est à cause du nombre de personnes qui s’y consacrent, dit-il, il y a eu un effet d’émulation."

D’où l’écoeurement de plusieurs artistes qui commençaient sérieusement à croire que l’humour allait tout prendre, à commencer par leur job. "Je comprends la réaction, parce qu’il y a eu un moment où c’est vrai que l’humour prenait beaucoup de place. Il y avait une impression de monoculture. Comme si au Québec, on ne faisait que du blé d’Inde, on ne faisait que des humoristes. Je comprends, continue Petit, parce que je suis le premier à dire que ton univers culturel ne devrait pas uniquement être composé d’humour."

"Nous, on s’est développés avec un soutien du public. On n’a rien volé à personne, je n’ai jamais été gêné du succès des humoristes. Mais il faut soutenir les gens qui font des arts visuels, du théâtre d’avant-garde et du ballet, et c’est à nous de le faire avec nos taxes et nos impôts. Si on ne le fait pas de façon volontaire, on ne pourra pas se plaindre plus tard qu’il n’y a pas de relève en culture."

"Je sais que je suis un maillon et que je fais partie de la section privilégiée de la chaîne, conclut-il, et c’est pour ça que je suis le premier à descendre dans la rue avec ma pancarte pour défendre les intérêts des plus faibles."