Michel Ouellet : Identité(s) en flux
Avec sa double participation à Zones théâtrales, le Gatinois Michel Ouellet consolide son statut d’auteur incontournable. Révélations autour de la notion d’identité.
Dans un milieu culturel que l’on s’amuse à imaginer abracadabrant ou, du moins, échevelé, il arrive parfois de rencontrer un créateur qui, défiant le mythe du bruyant névrosé, pose un regard plus pragmatique sur son oeuvre. Michel Ouellet, dont les mots résonneront abondamment sur les scènes de la région au courant de l’automne, est l’un d’eux. D’une sérénité désarmante, il approche son travail d’auteur d’un point de vue résolument philosophique. "Je laisse beaucoup d’autonomie aux producteurs, metteurs en scène et acteurs afin qu’ils trouvent eux-mêmes les réponses à leurs questions dans le texte en l’ouvrant, en le creusant", explique-t-il avant de lancer: "Bien que je sois l’auteur, je ne possède pas de réponses à toutes ces questions!" Heureusement, les spectateurs désireux d’entreprendre une telle réflexion auront une quantité exceptionnelle de matériel au coeur duquel fouiller.
Deux productions, deux démarches
L’événement Zones théâtrales sera d’abord l’hôte de Frères d’hiver, que le Théâtre de la Catapulte présentera en exclusivité 10 jours avant l’inauguration d’une résidence plus étendue à La Nouvelle Scène. Quant à La guerre au ventre, une production du Théâtre du Nouvel-Ontario, elle clôturera la biennale, en plus de conclure un cycle entamé avec French Town, pièce pour laquelle l’auteur a remporté le Prix du Gouverneur général en 1994.
Ayant, comme à son habitude, conservé ses distances avec l’équipe de création lors de la gestation de la pièce, Michel Ouellet attend Frères d’hiver avec une anticipation qu’il ne tente pas de dissimuler. La surprise sera d’autant plus totale que le spectacle n’a initialement pas été conçu comme une pièce de théâtre. À l’origine, Frères d’hiver est un récit poétique que l’auteur a rédigé en 2002, à l’occasion d’un cours de maîtrise en création littéraire à l’Université d’Ottawa. Immédiatement fasciné par le potentiel théâtral dudit objet, Joël Beddows, qui signe la mise en scène de cette création, a entamé la conception de ce que Michel Ouellet décrit comme "un objet multidisciplinaire, avec de la vidéo, du mouvement, de la chorégraphie". Le créateur justifie sa démarche en soutenant: "Munis d’un grand potentiel exploratoire, les créateurs peuvent accoucher d’une oeuvre totale."
Séduisante complexité
Frères d’hiver se concentre sur le personnage de Pierre (Pierre Simpson), contraint de se rendre à Toronto afin d’identifier le corps de son frère Paul (Alain Doom), avec qui il entretenait une faible connexion. Sur place, Pierre apprend que son frère, employé d’une banque, s’adonnait à la poésie dans ses temps libres. À travers cet art, puis grâce à la muse qui en était l’inspiration, Pierre découvre un Paul qui lui était inconnu. De son côté, La guerre au ventre met en vedette Martin, le héros de French Town qui avait lutté, 20 ans plus tôt, pour sauver son village et l’usine de pâtes et papiers de Timber Falls. L’acteur Karl Poirier Peterson fait face à Annick Léger, qui interprète, dans un espace à l’abri des conventions temporelles, les femmes ayant marqué Martin au cours de sa vie.
Les deux trames narratives traduisent l’intérêt que porte Michel Ouellet à la notion d’identité, qu’il approche comme une donnée en flux se définissant par l’interaction entre les personnages. L’auteur épilogue: "L’idée que l’identité ne soit pas fixe me fascine. Pour moi, c’est quelque chose en mouvance, en rapport. Elle se définit en relation avec le langage dans un jeu de perceptions. Il n’existe pas de grandes certitudes concernant l’identité; elle évolue au fil d’un continuum."
S’il est enchanté que deux de ses oeuvres soient présentées à l’occasion de la biennale Zones théâtrales 2011, Michel Ouellet n’en est pas moins surpris. "C’est un concours de circonstances. Je ne suis pas producteur; j’ai seulement écrit ces textes que deux compagnies ont décidé de monter simultanément. Le sentiment est étrange." Force est de constater qu’en contribuant à l’émancipation du théâtre francophone dans la région, une scène qu’il qualifie de "vivante et dynamique", le dramaturge participe à la définition identitaire de la communauté culturelle dans laquelle il s’est forgé une place de choix, s’attaquant ainsi à des problèmes qui dépassent les péripéties des personnages auxquels il donne vie.