Michel Poirier et Robert Lalonde : Pour ou contre Narcisse?
Huis clos à la new-yorkaise, axé sur les personnages, Match déboulonne le mythe de l’artiste sacré tout en faisant un plaidoyer contre la marchandisation de l’art.
Stephen Belber est connu pour ses pièces adaptées au cinéma: The Laramie Project, qui racontait l’agression mortelle du jeune homosexuel Matthew Shepard survenue en 1998, et Tape, qui abordait les secrets et mensonges du passé, une thématique qui se retrouve aussi dans Match. La pièce a signé l’entrée du dramaturge américain sur Broadway en 2004 et sera mise en scène par Michel Poirier chez Duceppe. Robert Lalonde y incarne Tobi Powell, un ex-danseur de ballet excentrique confronté à son passé par la visite de deux jeunes gens venus l’interroger sur la danse, défendus par Alexandre Goyette et Marie-Chantal Perron.
"Ce qui m’a intéressé dans cette pièce, ce sont les personnages et le thème de l’art, raconte Poirier en entrevue. Tobi Powell a connu une carrière glorieuse de danseur avec Balanchine au début des années 1960. C’est une période de libération des moeurs et de la sexualité qui me fascine. Tobi avait 19 ans, la vie s’ouvrait devant lui et il a choisi de devenir artiste, renonçant du même coup à autre chose." C’est l’idée du sacrifice inhérent à tout choix qui a inspiré le metteur en scène à diriger cette oeuvre psychologique qui traite de la possibilité d’être. Rapidement, le spectateur assiste au malaise entre Tobi et ses visiteurs et devine le piège tendu à l’artiste qui divulguera sa face cachée.
Après Thierry L’Hermitte à Paris et Frank Langella à Broadway, Lalonde incarnera l’artiste narcissique et extravagant, "insupportablement drôle" selon l’acteur. "Il fait partie des gens qui ont eu leur heure de gloire et défendent avec un égocentrisme sans bornes qu’ils ont vécu une des plus belles périodes de l’histoire de l’art." Poirier et Lalonde s’entendent pour dire que l’art a perdu son sens sacré depuis ces années libertaires. "On est coincés aujourd’hui. Ça va avec le retour de la droite et du puritanisme", avance Lalonde. "Un des plaidoyers de l’auteur est de défendre les artistes dans leurs excès. Je connais beaucoup de monstres sacrés de cette époque-là, les Armand Vaillancourt et feu Pierre Falardeau qui mettent des bombes sous nos pieds, mais sont aussi des phares. Le destin d’un artiste n’est pas simplement de prendre la niche qu’on lui donne."
Poirier a travaillé le narcissisme du personnage avec Lalonde, mais aussi son humanité, car Tobi est également montré dans sa grandeur d’âme et sa fragilité. Il a cependant évité la touche mélo du texte original. "Je tenais à ce que le personnage n’ait pas de rédemption, alors j’ai modifié la fin de la pièce. L’idée de Saint-Augustin, cité dans le programme, mérite d’être réfléchie: "Celui qui se perd dans sa passion vaut mieux que celui qui perd sa passion".
Sans trancher en faveur ou en défaveur des artistes qui mettent leur création au-dessus de tout, Poirier a privilégié une pièce ouverte aux multiples interprétations. "C’est un jeu entre la gloire, la toute-puissance de l’art et les sacrifices que cela exige, poursuit Lalonde. Ça me fait penser au film de Manon Barbeau: Les Enfants de Refus global, qui montrait le trou énorme qu’ont laissé les artistes de l’époque pour leurs enfants." Pour ou contre l’artiste en Narcisse? À vous de juger.
La danse de l’escrimeur
Denise-Pelletier présentait à Fred-Barry, à l’automne 2009, Le projet Laramie de l’Américain Stephen Belber. Tectonique! Voilà que Duceppe en remet avec Match du même auteur.
À Paris, c’est plutôt Grand écart avec Thierry Lhermitte dans le rôle du célèbre danseur-chorégraphe-professeur, Tobi. Ici, fidèle à son cynisme percutant, Robert Lalonde, à 64 ans, campe ce personnage diva plutôt sexy-tricoté-serré de deux ans son aîné. « Des émotions en temps réel » dans l’introspection d’un passé dans lequel deux fouille-merde arracheurs de confidences, Lisa et Mike, tentent d’extirper une lourde confession honteuse de Tobi. Dès lors, une logorrhée verbale de solitaires entre en jeu à partir d’un subterfuge menant à des échappatoires inquiétantes; pire, à des vérités troublantes. Le couple détective scrute-t-il trop énergiquement les bouges ténébreux du gai Tobi? Ce dernier, à force d’esquives spectaculaires, devient agacé et irrité au point de presque chasser les deux intrus malotrus de son appartement magnifiquement noyé dans l’alcool avec effluve de pot et de laine (chaud décor signé Olivier Landreville qui a su réduire la scène à sa plus stricte intimité) quand, soudainement, l’ « enquête » bascule. « Quand on scrute trop longtemps le fond de l’abysse, l’abysse finit par nous scruter à son tour. » (Nietzsche).
Pour faire une histoire courte, l’intrigue est prévisible au masculin comme au féminin sans qu’il y ait matière à se ronger les ongles. En garde! Prêts? Sabrez le champagne des réconciliations!