Sophie Cadieux : Les fées voient double
Scène

Sophie Cadieux : Les fées voient double

Sophie Cadieux s’apprête à incarner Blanche-Neige et la Belle au bois dormant dans une relecture de contes de fées où les princesses deviennent suspectes, lubriques et paradoxales.

Artiste invitée en résidence à l’Espace Go pour trois ans, l’actrice a choisi de s’interroger sur son identité féminine et les modèles auxquels (ou avec lesquels) elle correspond. Pas étonnant que les Drames de princesses d’Elfriede Jelinek aient attiré son attention. Dans ce projet de cinq courtes pièces, l’écrivaine autrichienne donne la parole à des femmes de légendes qui ont marqué l’histoire, comme Jackie, présenté l’an dernier à l’Espace Go, et les fait dire et agir contre le schéma traditionnel de l’histoire, déconstruisant leur mythologie. Primée du Nobel de littérature en 2004, l’auteure de La pianiste est réputée pour la radicalité de son discours féministe, mais fouille décidément plus loin nos fantasmes.

"Elle se penche sur les contes et fait un arrêt sur les quêtes métaphysiques de ces personnages, explique Sophie Cadieux au sortir d’une répétition. Que se passerait-il si Blanche-Neige s’affirmait en face du Chasseur et si la Belle au bois dormant revendiquait sa propre identité avant la création de son être par le baiser du Prince? C’est un pied de nez à la convention des contes et aux stéréotypes qu’ils véhiculent. Jelinek dénonce notre monde machiste et la domination masculine." Armée de son implacable rhétorique, Jelinek ne se contente pourtant pas de cette seule interprétation des contes, joignant la critique politique d’une certaine droite autrichienne, de l’esprit de domination, et fouillant la part de responsabilité féminine dans les drames de princesses. "L’auteure s’amuse aux dépens de Blanche-Neige en suggérant que la jeune naïve est également manipulatrice, consciente du pouvoir de sa beauté. Tous les discours sont doubles chez elle. Il y a toujours une ambiguïté."

Un Feydeau métaphysique

Martin Faucher place d’ailleurs l’actrice comme une femme de trente ans qui porte un costume et livre son interprétation de princesse. Tout un contrat pour l’actrice. "Je freake un peu! C’est un défi différent du travail d’intériorité de Cette fille-là. Ici, je suis au service du manifeste de Jelinek. Il n’y a pas de psychologie. Le texte est touffu et demande une grande dextérité. J’ai l’impression de courir des marathons en répétition." La pièce exige un investissement physique et cérébral pour l’actrice qui a passé environ trois mois l’an dernier à défricher le texte avec le metteur en scène. "L’action est pulsionnelle, mais le discours est d’une rhétorique philosophique. Ce sont des corps qui pulsent, accompagnés de grands questionnements métaphysiques. C’est un Feydeau métaphysique, un show de portes sans portes où on parle de philosophie à un rythme effréné."

Quant à savoir si les fées survivent à l’attentat de Jelinek, Cadieux avoue être troublée par sa force de frappe. "Elle provoque et bouscule. Je refuse parfois de croire à la fatalité de ses propositions, mais je suis obligée d’être d’accord avec la mécanique qu’elle déploie." "Et si toutes les princesses étaient destinées à se faner?", lit-on dans le programme. Jelinek les ressusciterait et nous verrions ce qu’elles cachent sous leur manteau de velours…