Blackbird : Les ailes brisées
Scène

Blackbird : Les ailes brisées

"All your life, you were only waiting for this moment to arise", chantait Paul McCartney sur son propre Blackbird. Dans la pièce du même titre de David Harrower, le moment est venu pour une confrontation trop longtemps remise entre d’anciens amants dont la relation fit scandale.

Il est vrai que l’histoire entre Ray et Una suscite le malaise: il était âgé de 40 ans lors des faits, alors qu’elle n’était qu’une adolescente de 12 ans. L’homme a refait péniblement sa vie et travaille aujourd’hui dans une usine. C’est là que vient le relancer la fille devenue femme, qui se révèle moins traumatisée par l’acte que profondément blessée par la fuite de celui qu’elle aimait et enragée par l’assemblée bien-pensante (parents, spécialistes) ayant pris en charge sa "réhabilitation".

On avait d’abord vu cette production du Groupe de la Veillée en avril 2010, quelques mois avant que le Théâtre du Nouveau Monde en accueille une version lyonnaise montée par Claudia Stavisky. La mise en scène québécoise de Téo Spychalski était apparue plus directe, plus franche, une impression accentuée par cette nouvelle mouture présentement à l’affiche du Théâtre Prospero, dans laquelle la comédienne Marie-Ève Pelletier remplace Catherine-Anne Toupin dans le rôle d’Una.

Amoureux des textes, sensible à leur musique, Spychalski n’en connaît pas moins la valeur d’un silence. Ayant bien en main la partition hachée composée par Harrower (traduction efficace d’Étienne Lepage), le metteur en scène fait un usage judicieux de ces arrêts brusques, ces poches d’air qui trahissent la stupeur des personnages. Une fois leur surprise passée, les digues cèdent, le débit s’accélère, la parole trop longtemps contrainte jaillit au beau milieu de la cantine au plancher jonché d’ordures. Car au-delà des tabous sociaux, dans les méandres de ce théâtre réaliste qui expose sans juger, il est aussi question de rédemption.

Haletant, Gabriel Arcand transpire la fragilité de l’homme heurté de plein fouet par son passé. Pelletier, quant à elle, joue moins que Toupin la carte de la causticité: sa Una est moins sinueuse, plus en crescendo, ce qui intensifie la charge dramatique de la pièce, mais en gomme peut-être certaines zones d’ombres. Il demeure toutefois indéniable que cette oeuvre sans concession s’adresse avec une égale intensité à la sensibilité et à la raison.