Danse à 10 : De l'art et du cochon
Scène

Danse à 10 : De l’art et du cochon

La 2e Porte à Gauche sème le trouble avec Danse à 10 en invitant huit créateurs dans un bar de danseuses. Inégale dans ses propositions artistiques, la soirée s’avère forte en émotions et en questionnements.

Un système détecteur de métaux, une fouille en règle, un malabar pour placier, des serveuses moulées dans une seconde peau estampillée "Kingdom Gentleman’s Club" et, un peu partout sur les murs, des écrans avec des images de danseuses nues en action. Le lieu en soi est un spectacle. Dépossédé de sa confortable position d’observateur assis dans le noir, le spectateur devient client, voyeur déclaré. Il a payé 25 dollars pour voir des corps sur scène et devra en allonger 10 de plus pour suivre dans un isoloir l’un ou l’autre des interprètes qui jouent les aguicheurs dans les allées du bar. S’il a la chance de recevoir une carte VIP, il se joindra à un petit groupe pour assister à un duo où la magie technologique matérialise souffles, caresses, vertiges de l’abandon et du plaisir. Signée Stéphane Gladyszewski, cette proposition est celle qui conjugue le mieux art et érotisme.

Sur scène, on fait le grand écart entre des numéros qui prennent le risque du cliché en usant clairement des codes de la pole dance, des commentaires parfois cinglants sur le tandem détresse humaine/marchandisation du corps, des exercices de poétisation et une théâtralisation drôlissime dans laquelle Marie Béland se distancie si radicalement du jeu de la séduction qu’elle détourne la fonction même du lieu. Si les propositions de Mélanie Demers et Manon Oligny résonnent comme des dénonciations exprimant la dimension pathétique de la commercialisation du corps-objet, celle de Nicolas Cantin exsude la violence sourde qui résulte de l’accumulation des numéros.

Pour répondre à l’un des questionnements de départ, oui, la danse contemporaine peut être plus crue que celle des effeuilleuses. Mais cela se joue certainement plus dans son propos que dans la nudité des corps. Et dans l’extrême exigüité des isoloirs, l’instinct vient se mêler aux discours sur les jeux de pouvoir et sur l’art. Spectateurs et danseurs peuvent en ressortir troublés. Car, en l’absence de distance physique, l’art n’offre guère de rempart à l’expression des désirs et à la transgression des limites. En dehors de l’espace protégé d’un théâtre, jouer avec son corps, c’est comme jouer avec le feu.