Jean-Philippe Joubert / La nuit des rois : L'un dans l'autre
Scène

Jean-Philippe Joubert / La nuit des rois : L’un dans l’autre

Jean-Philippe Joubert est de retour au Trident, où il a mis en scène Charbonneau et le chef en 2010, pour monter La nuit des rois de Shakespeare. Yin yang théâtral.

La nuit des rois ou Ce que vous voudrez de Shakespeare (traduit ici par Normand Chaurette) renferme tous les éléments de la comédie classique: quiproquos, romances enchevêtrées, mystifications et humour de caractère impliquant maîtres et serviteurs. "Mais ils ne sont pas utilisés d’abord comme un ressort comique, objecte Jean-Philippe Joubert. Ils se mettent plutôt au service de la poésie de Shakespeare."

Il cite en exemple le fait qu’après la mort supposée de son frère jumeau, Viola, l’héroïne, se fait passer pour un homme. Elle entre alors à l’emploi du duc d’Orsino, dont elle tombe amoureuse. Malheureusement, celui-ci est déjà épris de la comtesse Olivia qui, elle, ne l’aime pas. Pire, il demande à Viola d’aller conter fleurette à sa belle…

"Shakespeare utilise ce subterfuge pour brosser un portrait de femme très forte, observe-t-il. Surtout, sous son déguisement qui est une illusion, Viola peut livrer de grandes vérités aux personnages d’Orsino et d’Olivia."

Pour le metteur en scène, cette pièce n’entre dans aucune catégorie. "Au début des répétitions, j’ai dit aux acteurs: "Ça s’appelle une comédie juste parce qu’ils ne se tuent pas tous à la fin", raconte-t-il. Si les personnages n’arrivaient pas au bon moment, ça pourrait mal tourner. Tout comme Roméo et Juliette pourrait bien finir si le messager se présentait à temps."

"L’écriture de Shakespeare est fascinante parce qu’elle est libre de ce genre de définition. Elle a quelque chose de baroque, d’impur, poursuit-il. La nuit des rois est parfois mélancolique, parfois très drôle."

Cette imbrication des opposés ne concerne pas que le genre dramatique. "Les personnages sont soit dans une réalité illusoire, soit dans une illusion réelle, et l’entrelacement des deux fait la richesse de la pièce. Cet aspect m’a beaucoup intéressé. On a travaillé là-dessus dans notre réflexion sur le texte."

La "figure poétique par excellence" de ce rapport rappelant celui du yin et du yang est incarnée par Viola. "Elle a son jumeau à qui elle ressemble. Elle a aussi son reflet dans Olivia, note-t-il. Il y a tout ce jeu de miroirs entre les uns et les autres."

Par conséquent, Jean-Philippe Joubert a abordé l’interprétation en s’attardant aux contrastes. "Les personnages comiques glissent vers des personnages dramatiques et vice versa, dépendamment du moment. On s’est aussi penchés sur la désillusion et la "réillusion" de ces personnages, selon leur parcours."

Sur le plan de la scénographie, il a privilégié le motif du miroir et cherché à créer "un espace scintillant". "On utilise un plafond d’ampoules contrôlé par un flux vidéo. Cet élément est en mouvement avec les comédiens, il répond à leurs états, il vit avec le jeu."

Le metteur en scène a également demandé au musicien Mathieu Campagna de s’exécuter en direct. "Parce que la musique est très présente dans l’oeuvre et qu’elle aide à la fête. Car il y a des moments de fête aussi dans tout ça", rappelle-t-il en terminant.