Larry Tremblay : Sismographe de la guerre
Scène

Larry Tremblay : Sismographe de la guerre

Infatigable chercheur de la psyché humaine, Larry Tremblay s’est donné le défi, avec Cantate de guerre, d’explorer la guerre à travers le langage qui la crée.

Alors qu’on nous martèle d’images de guerre et de violence, le théâtre faisait le récit des conflits bien avant l’arrivée des médias. La guerre fut le moteur premier des tragédies grecques, mais aussi de la mythologie indienne que Larry Tremblay a longuement étudiée. Ce qui nous informe sur les conflits actuels peut toutefois faire ombrage à l’essentiel. "Le théâtre ne vient pas informer. C’est pour ça qu’il n’y a pas de dates, pas de noms et pas d’anecdotes dans ma pièce, raconte le dramaturge. C’est une rencontre incarnée entre le fait de la guerre et le spectateur. Ça passe par la voix et le corps, la puissance et la densité des mots."

L’idée d’une pièce sur la transmission de la violence par un père soldat qui enseigne la guerre à son fils a germé dans l’esprit du dramaturge il y a quatre ans, d’abord sous la forme d’un poème, entre autres inspiré de la lecture des reportages sur le conflit tchétchène d’Anna Politkovskaïa, journaliste russe assassinée. "C’est une pièce qui parle des conflits ethniques dans le monde, mais je n’ai pas voulu les nommer. Je questionne l’inhumanité de l’humanité, parce que pour moi, les conflits et la haine sont une question de propagande, de discours et de mots. On instrumentalise les mots pour endoctriner les gens et éveiller en eux des sentiments haineux. Quand on naît, on ne sait rien. On nous apprend la beauté et la haine."

Les mots-canons

Stimulé par ce brûlant désir de penser hors des cadres conventionnels, le dramaturge décortique les mots qui fondent la guerre dans une Cantate qu’il a imaginée comme un sismographe de la guerre. Il enregistre les mouvements verbaux plutôt que l’acte lui-même, remontant aux origines de la violence logées dans la parole. "Tout génocide est préparé d’avance par la propagande. On ne peut pas penser qu’un conflit naît d’un mouvement spontané de haine. C’est la pensée avant l’acte. Autant la parole peut porter la guerre, autant elle peut porter l’espoir. J’ai travaillé sur la densité des mots et des images. La metteure en scène Martine Beaulne a choisi de ne pas montrer les actes violents. On les fait sans les voir parce que toute la violence est dans les mots." Fasciné par toutes ses formes, celle de la perversion sexuelle abordée dans The Dragonfly of Chicoutimi ou celle du génocide visitée dans La hache, Tremblay étudie la violence et ses effets sur l’identité et l’altérité. "Je creuse le même sillon qui me permet de comprendre comment on devient soi-même. Dans la guerre, on se claquemure, on se clôture et on refuse que l’autre vienne en soi."

Construite sur un jeu de présence et d’absence, la pièce polyphonique greffe aux pôles du père et du fils un choeur de soldats qui renvoie la violence à ceux qui la diffusent. "Tous les personnages ennemis sont invisibles, mais comme dans une guerre, on est toujours l’ennemi pour un autre et cette présence-absence s’inverse." Face à l’impuissance ressentie par les spectateurs des guerres assis dans le confort de leur salon, Tremblay invente un théâtre contre le somnambulisme. "C’est ma manière à moi de faire partie de ce monde de plus en plus globalisant et instrumentalisé. On est noyé dans l’information. On est plus parlé et pensé par la société que par soi-même. Penser par soi-même est un acte de courage." Les mots de Cantate de guerre risquent de nous mettre en inconfort et de nous sortir de notre saturation d’images.