Cantate de guerre : Étude de guerre
Larry Tremblay a eu l’idée de dire la violence plutôt que de la montrer dans Cantate de guerre, une pièce à la proposition ambitieuse qui bifurque vers un poème analytique.
Si les Grecs racontaient les récits de la guerre au passé, Larry Tremblay les fait plutôt arriver au présent, sans les montrer. Un père cruel, tenu par Paul Ahmarani, s’adresse à l’ennemi invisible, cet Autre, assis dans l’assistance, apostrophé à la deuxième personne: "Tue-le!", "Ouvre-lui le bras!", "T’es lâche!" L’exercice fait effectivement subir la violence transmise par les mots, sadiques et obscènes, qui provoquent malaise et dégoût, verbalisant l’indicible à défaut de l’exhiber, mais la quasi-absence de dialogues fait pencher le texte vers des réflexions parfois trop abstraites sur la guerre.
L’insoutenable dureté des images passe surtout par le père, ignoble milicien raciste qui enseigne la cruauté à un enfant de sept ans jusqu’à ce que son propre fils l’assaille d’une culpabilité qui le rendra fou. Bien qu’il tarde à s’incarner dans les mots violents qu’il crache comme la souillure séculaire accumulée par des milliers d’années d’histoire humaine sanglante, Ahmarani joue un excellent professeur de guerre pris à son propre piège, déchiré entre la cruauté et la douleur, étranglant son humanité jusqu’à ce qu’elle le submerge. Sa transformation fige d’effroi, mais il est seul à progresser dans cette pièce où le fils (Mikhaïl Ahooja) reste une présence évanescente, perché dans un décor abstrait à réciter des leçons de vocabulaire guerrier pendant qu’un choeur de soldats scande un plaidoyer haineux. Formé d’Abdelghafour Elaaziz, Frédéric Lavallée, Mathieu Lepage, Philippe Racine et Denis Roy, ce choeur d’irréductibles brutes armées de couteaux et de chaînes frappées au sol terrifie par sa présence physique imposante, mais sa froideur désincarnée ne parvient pas à toucher.
Le face-à-face imaginé par Martine Beaulne où le spectateur se trouve dans la mire de l’ennemi est certes déstabilisant, mais la mise en scène n’arrive guère à ancrer le texte chargé de l’auteur. Alourdie par des phrases souvent trop expliquées, martelées à l’excès, bien que brûlantes de vérité ("Pourquoi rangeons-nous les mots odieux dans la tête de nos enfants?"), la pièce bascule dans l’abstraction. Il y a pourtant des lignes sublimes, tirées d’un poème, dirait-on, et un rythme hypnotique de mots qui courent vers la mort, car Tremblay travaille ici la langue comme une musique infernale mimant la chaîne de transmission de la haine. La force de frappe de son théâtre qui tord la psyché humaine est toujours fulgurante, mais la pièce souffre du peu d’interaction entre les personnages et d’une structure conceptuelle et impersonnelle. Cherchant l’universalité des conflits guerriers, Cantate de guerre peine à se matérialiser à force de trop vouloir dire ce qu’elle ne montre pas.