François Létourneau : Le sexe des présidents
La fin de la sexualité, un "docu-théâtre politico-sexuel" imaginé par François Létourneau, joue entre le vrai et le faux dans une lecture intimiste de la politique américaine.
"La fin de la sexualité" est un projet clandestin lancé en 1986, contre lequel lutteront trois présidents américains incarnés dans la nouvelle pièce de Létourneau aux côtés de leurs conseillers politiques. Mais où donc l’auteur est-il allé pêcher l’idée de l’épuisement de l’appétit sexuel? "Je ne suis pas parti de statistiques réelles, mais le taux de fécondité chez les humains est effectivement à la baisse. Une étude a montré que le nombre de Japonais qui se disent non intéressés par le sexe est en progression. J’ai exagéré la chose pour raconter l’histoire d’une cellule de recherche clandestine, créée à Washington sous l’administration Reagan, qui essaie de comprendre ce phénomène affolant qui prévoit que d’ici 100 ans, la sexualité aura disparu, signant la fin de l’humanité. La pièce traite, sur une période de 20 ans, des efforts déployés par trois administrations, Reagan, Bush père et Clinton, pour contrer ce phénomène. Mais c’est un prétexte pour parler d’amour et de désir."
L’auteur des Invincibles et de Cheech (Les hommes de Chrysler sont en ville) n’était encore jamais allé du côté de la politique, plutôt versé dans le drame intimiste. Létourneau ne s’éloigne pourtant pas de ses thématiques favorites – le désir, l’amour, la solitude, la sexualité – avec cette pièce, mais il a cherché un ton plus décalé, un ancrage plus large. La Maison-Blanche lui a ouvert grand ses portes. "Je trouvais intéressant de parler d’intimité avec des matériaux qui en sont éloignés: des présidents qui gèrent une crise mondiale, qui sont en conférence de presse et en réunion extraordinaire. Reagan (Patrice Robitaille) et Bush père (Patrick Drolet) se mélangent avec des personnages inventés. On revoit des événements réels de la politique américaine, mais on s’amuse à leur donner une signification sexuelle. Ce décalage est drôle et sûrement original!"
La pièce qui devait être une série de monologues intimes a pris une dimension politique lorsque Létourneau a su qu’il ouvrirait la nouvelle Petite Licorne, de plus grande capacité que l’ancienne. Avec ses complices à la chimie bien éprouvée, Frédéric Blanchette, qui avait aussi mis en scène Cheech en 2003, et Catherine-Anne Toupin, cofondateurs du Théâtre Ni plus ni moins, Létourneau a eu envie de s’éclater. "Quand j’ai écrit Cheech, je voulais faire une pièce efficace, alors qu’ici, je voulais écrire quelque chose de plus bizarre. J’avais envie de me surprendre. Robitaille, qui connaît tout ce que j’ai écrit, est étonné par la pièce. Ça veut dire que je suis allé ailleurs." Létourneau retrouve aussi le plaisir et la liberté de l’écriture théâtrale. "Écrire Les Invincibles a été pour moi un grand bonheur, mais pour la télé et le cinéma, les mots sont un élément parmi d’autres, alors que dans le théâtre que j’écris, les mots sont fondamentaux. Écrire pour le théâtre, c’est aussi écrire seul. C’est très différent."
Les tristes personnages de sentimentaux auxquels Létourneau nous a habitués, névrosés risibles pétris d’angoisse, de solitude et d’une sexualité compliquée, seront-ils encore au rendez-vous dans cette pièce politique? "Les mêmes thèmes reviennent dans tout ce que j’écris. J’écris des comédies avec un fond lourd. Ici, je fais des hommes de pouvoir des êtres tourmentés, animés de désir et du besoin d’être aimés." Entrer dans la chambre à coucher des présidents américains et scruter leurs troubles sexuels parviendra peut-être à les humaniser, mais pique certainement déjà notre curiosité.