Gaétan Nadeau et Rodrigue Jean : La subversion tranquille
Scène

Gaétan Nadeau et Rodrigue Jean : La subversion tranquille

Invités par le Nouveau Théâtre Expérimental à nous faire redécouvrir Montréal dans un spectacle hors-norme, Gaétan Nadeau et Rodrigue Jean transforment le théâtre en espace de rencontre avec Zoo 2011.

En 1977, la folle équipe du Théâtre Expérimental de Montréal interroge la relation au spectateur et explore de nouvelles formes théâtrales avec Zoo, une installation mettant en scène humains et animaux. Robert Gravel et Jean-Pierre Ronfard sont de la partie. Trois décennies plus tard, Alexis Martin et Daniel Brière, codirecteurs artistiques de la structure devenue NTE, commandent au créateur polymorphe Gaétan Nadeau une oeuvre qui ferait écho à cette expérience iconoclaste et éclatée. Les contraintes: une dramaturgie atypique, une forme déambulatoire présentant des micro-univers et aucun acteur professionnel.

"Alexis voulait une sorte de radiographie du Montréal actuel avec des gens issus de la communauté, raconte Nadeau. J’ai tout de suite pensé à collaborer avec Rodrigue Jean parce qu’il est en contact avec un réseau auquel je n’ai pas accès." Auteur du documentaire Hommes à louer et animateur du collectif Épopée.me, qui se consacre à la création cinématographique sur le Web avec des personnes marginalisées du quartier Centre-Sud, le cinéaste a vu dans ce projet une nouvelle occasion de mêler art, politique et société.

"La contre-culture des années 1970 était avant le féminisme et les études postcoloniales, commente-t-il. Le TEM avait fait du concept du zoo humain, raciste et colonialiste, quelque chose de festif. Nous avons pour notre part décidé de ne pas faire un spectacle, de ne pas donner des gens en pâture, mais de proposer une pure rencontre avec un monde que nous avons choisi."

"Il n’y a pas de dramaturgie, renchérit Nadeau. On voit simplement des gens qui s’adonnent à des pratiques de haute intensité, métier ou loisir, politisées ou très intimes, qui occupent la ville, mais auxquelles on n’a pas accès parce qu’elles échappent d’une certaine façon au contrôle de l’État."

Au total, une quinzaine de ces pratiques que les créateurs tiennent à garder secrètes sont mises en espace de façon très simple. Dans une semi-pénombre, les mystérieux protagonistes de ce non-spectacle exécutent naturellement leurs tâches, et les visiteurs, libres de déambuler d’une station à l’autre en passant par le bar, ont le choix d’entrer en relation, d’engager le dialogue, de lire des documents mis à leur disposition et de s’asseoir pour réfléchir à la situation. La dimension théâtrale réside dans les notions d’espace et de temps et dans l’environnement sonore créé par Nancy Tobin et Nicolas Dion à partir des bruits ambiants.

"Parce qu’on est à une époque où la classe moyenne disparaît et que l’ensemble de la population est marginalisée et poussée vers la précarité, c’est une façon de montrer la pointe de l’iceberg du monde à venir si l’Occident poursuit sa marche actuelle", affirme Jean.

Élaborée avec le concours du philosophe Erik Bordeleau, la proposition offre un questionnement sur ce que peut signifier "vivre ensemble". En ces temps d’indignations et de révolutions, elle se pose comme une invitation à créer une communauté humaine qui transcende les différences qui séparent les individus. Hautement subversif.