Tobacco / Les Turcs gobeurs d'opium : Show de boucane
Scène

Tobacco / Les Turcs gobeurs d’opium : Show de boucane

Avec Tobacco, les Turcs gobeurs d’opium renouvellent notre dépendance à leurs créations, avec deux piliers du théâtre québécois au haut de l’affiche.

Après sept productions, les Turcs gobeurs d’opium cèdent pour une toute première fois les rênes de la mise en scène à un "externe". Cette tierce personne étant Normand Chouinard, illustre agitateur du milieu théâtral québécois depuis les belles années des créations collectives, tout porte à croire que la compagnie sherbrookoise prend racine et gagne en maturité.

Entre les mains d’un "être sage", difficile de prévoir la forme qu’aura Tobacco, un texte d’André Gélineau. "Il y a une intéressante confrontation artistique entre mon écriture et la mise en scène de Normand." Tant mieux, car c’est avec des flammèches que le feu prendra (et qu’il n’y a pas de fumée sans feu).

Mais la principale confrontation intergénérationnelle se déroulera sur scène. Dans Tobacco, on suit les rencontres hebdomadaires d’un animateur de pastorale avec une clique de vieux ados. Pour avoir leur attention, il leur donne du tabac.

COMÉDIEN NOMADE

Le rôle de l’animateur de pastorale fut confié à un comédien au parcours exemplaire, Richard Fréchette. "J’étais vraiment ravi que Normand me propose ça." Actif au cinéma (10 1/2, Le polygraphe) et à la télévision (Tout sur moi), Richard Fréchette est également porté par une faste carrière théâtrale, et on l’associe aux créations cultes de Robert Lepage (dont La trilogie des dragons). "Moi, je vais là où la vie me mène. J’ai fait de la tournée pendant 12 ans avec la gang à Robert; on est allés partout dans le monde."

Ce chapitre professionnel, c’est l’arbre qui cache la forêt? "Oui, mais quel arbre! Robert Lepage, c’est de la belle ombre."

PETIT POUVOIR

"C’est un pauvre type sympathique. S’il avait été politicien, il aurait été au NPD parce que Mario Dumont n’aurait pas voulu de lui, blague le comédien quant à son personnage. Il exerce ce que j’appelle du petit pouvoir, un peu comme ces gens qui ont des jobs plutôt simples, mais qui grugent tout ce qu’ils peuvent de pouvoir."

"Ce qui est pathétique, c’est qu’il veut avoir un ascendant sur quelque chose, et il se rabat sur des jeunes. Il tripe poésie pis Robin Williams, et il veut en parler." Mais être fanatique du film La société des poètes disparus n’a pas que du mauvais. Malgré sa maladresse, l’animateur de pastorale s’imposera comme une figure déterminante dans la vie des adolescents… un peu comme Robin Williams dans le film! "Au départ, ils forment une masse; leur révolte est commune. Au fil des rencontres, on décortique la meute pour que chacun puisse s’épanouir", dévoile Gélineau, qui joue l’un des délinquants aux côtés d’Alexandre Leclerc, de Simon Vincent et de Marie-Pier Labrecque. Lysanne Gallant complète la distribution.

TABOUS ACIDULÉS

"Pour les Turcs, c’est un show beaucoup plus comique que les précédents, relève l’auteur. C’est un humour acide."

Toutefois, avant le rire, Tobacco fait jaser par son titre provocateur, qui nous souffle en pleine face la fumée du tabou. "Dans la pièce, on ne fume pas du vrai tabac; c’est du trompe-l’oeil. Il y a là un prétexte pour parler des dépendances, de la manière dont les rapports se consument. J’ai essayé de construire le show comme un cycle de dépendance, de l’accoutumance jusqu’à l’état de manque."

Quant au sujet de la religion, il est symboliquement présent (la pièce se déroule dans une ancienne sacristie), mais jamais l’animateur de pastorale n’évoquera la Bible ou son contenu. "Aujourd’hui, même l’Église ne veut pas parler de l’Église, lance Fréchette. Il faudrait qu’elle explique les cas de pédophilie, le célibat des prêtres… Même un jeune de 14 ans sait ça maintenant."

Vaut mieux scander "Ô capitaine! Mon capitaine!" debout sur son bureau.

À voir si vous aimez /
La société des poètes disparus de Peter Weir, kETchup d’André Gélineau