Marcelle Dubois et Olivier Choinière : Le théâtre d’une génération
À quelques jours de l’inauguration du théâtre Aux Écuries, Marcelle Dubois et Olivier Choinière, deux des sept directeurs artistiques du collectif de compagnies, racontent la naissance d’un théâtre à l’image de son temps.
Après avoir tenté de mettre la main sur des locaux partagés avec l’UQAM, les compagnies jointes sous l’appellation du Théâtre de la Centrale cherchaient un lieu pour établir leur niche. "L’idée de partage d’espace et de services, d’esprit communautaire s’est fait sentir", raconte Marcelle Dubois, coordonnatrice artistique aux Écuries. "Toute la communauté s’est demandé si on souhaitait que ce lieu existe pour la relève et c’est vite devenu le projet d’une génération", poursuit Olivier Choinière.
C’est à l’invitation du Théâtre des Deux Mondes du quartier Villeray que les Écuries ont finalement vu le jour, partageant un espace entièrement rénové qui accueille les six compagnies résidentes (Théâtre du Grand Jour, Théâtre de la Pire Espèce, L’Activité, Théâtre I.N.K., Théâtre les Porteuses d’aromates et Festival du Jamais Lu) et offre aussi l’espace à des compagnies invitées. "On n’est pas les seuls à accueillir de jeunes compagnies, mais on le fait à notre manière", explique Choinière. "La direction artistique à sept têtes est unique. Chacun va dans sa direction avec son esthétique. Ce n’est pas une ligne artistique monolithique", poursuit-il. L’équipe a tout de même choisi de mettre ses ressources en commun, un geste de résistance pour les directeurs dans la trentaine, témoins de la fin des grands rêves collectifs. "On a grandi dans le monde individualiste et connu ses limites, mais à la base, c’est aussi une question de nécessité, avoue Choinière. On ne peut pas se payer cet espace-là, alors on le partage. Notre esprit communautaire s’est aussi bâti avec la volonté de legs et d’héritage, au coeur de notre génération."
Remodeler sans détruire
Aux Écuries tiennent effectivement à établir un dialogue avec leurs prédécesseurs. "On a envie de réinventer les structures, mais on ne le fait pas en brûlant ce qui existe déjà. On cherche les jonctions. Il y a une volonté de s’inscrire dans l’histoire", explique Dubois. Contrairement aux révolutionnaires d’une époque en rupture avec le passé, l’esprit à la base des Écuries en est un de filiation. "On arrive dans un monde où les ressources sont limitées, où tout est contingenté, et notre défi consiste à forcer les choses tout en respectant ce qu’il y avait avant", affirme Dubois. L’inauguration prévoit d’ailleurs des processions dans la ville durant lesquelles tous les théâtres montréalais offriront un objet pour former le trousseau des Écuries. La volonté de transmission se manifeste aussi dans le mandat d’accompagnement qu’ils se sont donné. "Pour nous, le travail en amont d’une diffusion est important. On veut être un incubateur artistique et offrir une structure administrative pour pérenniser le travail", explique Dubois.
En plus de créer des liens avec les gens du quartier (jardin communautaire, salon littéraire), Aux Écuries favorisent la spontanéité. "On veut une place pour les projets liés à l’actualité", défend Choinière qui présente le 3 novembre un Projet blanc dont personne ne connaît la nature, lié à un événement d’actualité. "Le happening exigeait de n’être pas annoncé, mais c’est aussi un jeu sur la diffusion. On vit dans un monde hyper médiatisé où on annonce et révèle tout. On tue le mystère." Avec le désir de marquer d’une pierre blanche la fondation de leur théâtre, la journée d’inauguration des Écuries s’annonce mémorable et déjantée. Aux processions s’ajoutent la lecture du Manifeste fondateur du théâtre, une folle nuit blanche et toutes sortes d’activités pour témoigner de la naissance d’un projet de solidarité propre à une génération.
Just Fake It
Pour ouvrir sa saison, le théâtre Aux Écuries présente Just Fake It, une pièce sur les faux-semblants créée par la compagnie Joe Jack et John, réputée pour ses propositions insolites. "La démarche de la compagnie est hors-norme et originale", affirme la coauteure et metteure en scène Catherine Bourgeois. "C’est une mise à nu des couches de faux-semblants, des multiples déguisements que portent quatre personnages. On se sert tous d’apparences trompeuses pour ne pas perdre la face à un moment ou un autre." Avec des acteurs au casting particulier (une porteuse de la trisomie 21 et un autre ayant une légère déficience), la compagnie choisit de diversifier les prises de parole. "J’aime ouvrir la création à des points de vue qui ne sont pas uniformes", poursuit Bourgeois. Avec cette tombée des apparences traitée avec ludisme, Joe Jack et John, créée en 2003, fait son entrée dans une saison théâtrale après plusieurs visites dans des lieux de diffusion alternatifs. "Les Écuries sont là pour accueillir des productions hors-normes", ajoute l’heureuse élue.