Taram : Ces écueils cathartiques
Pour mettre en scène Taram, Pierre Antoine Lafon-Simard a puisé dans la brutalité merveilleuse des mots de Marjolaine Beauchamp. Spectacle théâtral viscéral doublé d’un concert rock 100% local.
Oui, Pierre Antoine Lafon-Simard aurait pu remâcher un classique de Molière selon les codes théâtraux normatifs étudiés à l’École nationale de théâtre, dont il est un fier diplômé. Le créateur détient tout le bagage nécessaire pour s’acquitter de la tâche avec brio. Mais Lafon-Simard n’a que faire des conventions. À preuve, il se présente seul à l’entretien auquel Voir les a conviés, lui et la slameuse Marjolaine Beauchamp, vedette et auteure de Taram. Cette dernière manque à l’appel. "Tout va bien, assure le metteur en scène. C’est juste qu’aujourd’hui, elle est no show, no call."
Il s’est jeté à corps perdu dans la mise en scène de Taram. Atteint, selon ses dires, du syndrome de l’"enfant de riches", il affirmera à mi-parcours de l’entretien: "Si je me fais chier à être assis là, à faire 75 cennes de l’heure, au moins, je vais buzzer. Au moins, je vais triper. C’est ce danger-là qui ne nourrit."
À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire: voilà le credo que le metteur en scène s’efforce de magnifier dans la pièce Taram, oeuvre dont les codes de la "spectature normale" sont biaisés de par "la nature exploratrice du projet", et dont le processus créatif s’est articulé en trois saisons.
Premièrement, l’an dernier, alors qu’Anne-Marie White, directrice artistique du Théâtre du Trillium, avait offert à la poète l’une de ses cartes blanches lors de son Laboratoire Gestes. Puis, quelques mois plus tard, dans le cadre des Contes nomades du CNA. "Ç’a été troublant pour les gens du CNA, je crois bien, se remémore Lafon-Simard, qui a accompagné Beauchamp lors de ces étapes cruciales. Les cinq premières minutes ont déstabilisé, mais l’expérience a été très positive."
Des assises mises de l’avant lors de ces deux tentatives, Lafon-Simard retient la création de ce bipersonnage (interprété par Beauchamp et Micheline Marin, deux femmes qui "se recoupent dans la brisure", selon lui), le coeur même de Taram. "Cette femme bicéphale, intemporelle, qui se retrouve dans ce marécage qu’est ce Notre-Dame-du-Laus-Taram un peu mythologique, l’écueil de toutes les tristesses, de toutes les pauvretés.
Taram se veut la rencontre de ces deux personnages-là, l’une qui entre dans cet univers, l’autre qui veut en sortir. À savoir si ce sont des soeurs, un couple mère-fille, la même personne, on ne saurait dire", affirme-t-il en ajoutant avoir pris son pied à s’inspirer des flous narratifs de la poésie pour ériger la trame du spectacle. Ce dernier, par ailleurs, laisse une place formidable à la musique, par la présence des musiciens Olivier Fairfield et Pierre-Luc Clément (FET. NAT) qui, "par la force des choses", occuperont l’espace scénique comme deux interlocuteurs physiques.
"Je ne suis pas théâtrale" est une affirmation qui est souvent sortie de la bouche de Beauchamp, vice-championne du monde en slam. Pourtant, c’est elle qui irradie Taram de sa poésie féroce et de son grand amour insatiable. "Après 15 sacres, quand tu entends un "Je t’aime", ça fait mal, expose Lafon-Simard. Marjo, je lui ferais jouer de la tragédie grecque demain matin. Un jour, il faudra qu’elle fasse Andromaque. Ça n’a pas d’estie de bon sang!"
Le metteur en scène conclut: "C’est du théâtre sans filet. Tu vas voir Taram comme tu vas dans un show rock. À un moment donné tu tapes du pied, tu cries "yeah!", pis à des moments tu pleures, tu veux allumer un lighter. J’espère que les gens viendront voir le show et diront "Je viens voir des artistes qui travaillent d’arrache-pied, qui ont un talent incroyable et qui habitent à côté de chez moi.""
Marjolaine Beauchamp n’a pas à jouer Andromaque. Elle est Andromaque.