La Médée d'Euripide : Portrait de femme
Scène

La Médée d’Euripide : Portrait de femme

Pour La Médée d’Euripide, la deuxième production de son année consacrée au féminin, le Trident a cette fois fait appel au metteur en scène bolivien Diego Aramburo.

Plusieurs années après avoir aidé Jason à dérober la Toison d’Or, Médée constate que celui pour qui elle avait trahi sa propre famille, avant de fuir son pays, l’a répudiée pour épouser la fille du roi. Déchue, elle se retrouve seule avec ses deux enfants, poussée par sa fureur à une vengeance sanglante. À l’irréparable.

Cette histoire présentait trop de résonnances avec le travail de Diego Aramburo pour qu’il refuse l’invitation du directeur artistique Gill Champagne: "Les oeuvres que je privilégie déploient des univers féminins. Depuis plusieurs années, j’avais Médée en tête: le conflit de la femme envers ses enfants, l’amour de ceux-ci et la possibilité de leur mort, mais aussi la femme coincée au centre de décisions masculines. Elle a tout donné pour un homme qui, comme on dit en espagnol, finit par lui couper les jambes."

Trahie, Médée en viendra aux gestes les plus horribles. Un personnage d’une grande dureté, qu’on a confié à la comédienne chevronnée Linda Laplante: "Arrivée à mon âge, je sens que je peux m’attaquer à un morceau comme celui-là. À 20 ans, je n’aurais sans doute pas eu la maturité pour comprendre la femme qui est trompée et la douleur qui en résulte, pour comprendre l’acte terrible commis sur ses enfants, aussi, et les suites d’un tel geste. Mais là où j’en suis comme actrice, dans mon travail, comme femme, vraiment, c’est un cadeau qu’on me fait."

Dans un monde où essaiment immigrés, réfugiés politiques et expatriés de toutes sortes, note le metteur en scène hispanophone, Médée nous renvoie cependant aussi une autre figure, celle de l’exilée: "Les mariages pour les papiers, par exemple, sont fréquents en Amérique du Sud. Mais qu’arrive-t-il si le couple se brise, et si le danger t’empêche de rentrer dans ton pays? Tu te retrouves nulle part, faible, vulnérable. C’est exactement ce qui arrive à Médée."

Une pièce très actuelle entre les mains, ce dernier insiste néanmoins sur l’importance de rendre accessible un texte deux fois millénaire: "Parfois, c’est facile pour le spectateur d’être coupé d’une tragédie travaillée à la façon classique. Ici, on a voulu réduire la distance." La traduction claire, vive et rigoureuse de Marie Cardinal, en ce sens, constitue pour lui un appui inestimable, des éloges partagés par celle qui portera la voix de Médée: "Ce texte est proche de nous et permet au spectateur de s’identifier aux personnages sans prendre de distance par rapport au drame. Il est facile de s’approprier sa langue, et le personnage de celle qu’on traite de sorcière est rendu très humain, avec ses doutes, ses peurs, son amour. Sans compter que, pour une actrice, c’est un morceau magistral."