Stéphane Brulotte : L’ombre méconnue d’un vieil homme
Après s’être intéressé à Napoléon Bonaparte dans Une partie avec l’Empereur, l’auteur et metteur en scène Stéphane Brulotte décrypte cette fois la vie d’un écrivain complexe et entier. À travers Dans l’ombre d’Hemingway, présentée chez Duceppe, le grand Ernest défendu par Michel Dumont apparaît sous un nouveau jour.
Voix sans voie
Tel un lion en cage, l’auteur est littéralement encadré, enfermé, asphyxié. Encore une fois, à la manière de Michel Poirier (Match), Stéphane Brulotte parvient à dompter la scène de Duceppe en la transformant de plus belle en plage. En silence, l’auteur fait rugir Hemingway à découvert lequel passera la tête à travers les barreaux de sa cage d’osier pour entrevoir l’amour et la muse. Il les rompra même ces barreaux, sous l’abnégation acide de son ange gardien Mary aigrie (que Marie Michaud rend admirablement en second plan tellement elle le comprend, tellement elle entre avec une modestie à peine contrôlée dans son jeu) qui, tenace, veille sur son fauve excessif aussi farouchement que possible, le fouet à l’esprit, le suivant pas à pas, mot à mot. On étouffe sous les tropiques, on divague à Cuba, on sèche à la Havane.
Les déboires d’Ernest s’accumulent sur plus d’une panne. Son tableau de chasse s’assombrit faute de captures. Tocsin. Tocsin. Tocsin. Mais pour qui sonne ce tintement lent, cette seule note prise dans l’emprise du vacuum? Finies les embuscades et les frappes de vieille Remington!
Se pourrait-il que le soleil de l’inspiration ne se lève plus dans le Jardin d’Éden, ne trame plus de drame sur les Collines Vertes? Mûrir ou pourrir? Telle est la question.
Noyé dans l’alcool et la désillusion, Hemingway projetait son propre reflet frelaté sur l’écran aveugle de ses nuits blanches et stériles pour mieux vasouiller ou végéter en lieu sur. Michel Dumont interprète, magistralement dans les circonstances, ce personnage à hauteur d’auteur désabusé. Ce dernier n’a-t-il pas fait le rapprochement lumineux entre l’oeuvre majeure d’Hemingway Le vieil homme et la mer et le thon fou pêché par le vieil homme pour se rappeler leur pouvoir d’écrire et de pêcher encore. Ne serait-ce qu’une dernière fois, la bonne.
Seule sombre ombre au tableau : son suicide imminent (comme de celui de sa Vénitienne Adriana). Tel père, tel fils.
Était-ce le prix à payer pour devenir un authentique fantôme? Ou était-ce un leurre dans les affres de la création comme l’image d’une île à la dérive, comme un correspondant à la recherche de phrases plus vraies que fiction pour décrire sans artifice l’aventure humaine.