Estelle Clareton : S’envoler
OEuvre fougueuse et ludique signée Estelle Clareton, S’envoler réunit 12 talentueux danseurs dans une savoureuse métaphore de la conquête de l’autonomie et de la liberté.
Les vieux habitués de la scène québécoise se souviennent certainement de cette Française qui a fait ses premiers pas de danseuse professionnelle au sein de la compagnie Danse Partout et qui, une dizaine d’années plus tard, venait présenter au Carrefour international de théâtre Ce n’est pas de la manière qu’on se l’imagine que Claude et Jacqueline se sont rencontrés, cosignée avec Wajdi Mouawad. Auteure d’une trentaine d’oeuvres pour la scène et l’écran, Estelle Clareton compte aujourd’hui un quart de siècle en terre québécoise. Et c’est précisément d’un questionnement identitaire lié à son statut d’immigrante qu’est née, en 2010, la pièce S’envoler.
"Vivant un tiraillement constant entre le lieu d’où je viens et celui où je vis, je me demandais où étaient mes racines et si je pouvais vraiment être libre si je n’avais pas de racines quelque part, raconte la fondatrice de Création Caféine. Pour traduire cette ambivalence dans la danse, beaucoup de matériel a été créé à partir d’impulsions immédiatement contrariées par d’autres impulsions. J’avais donné la consigne aux danseurs de ne jamais arriver à une forme et, à mesure que la création avançait, je me rendais compte qu’il n’y a pas d’autre solution que d’accepter d’être dans le mouvement entre deux endroits."
Pour mieux coller à son sujet, la chorégraphe a aussi choisi de s’inspirer des comportements des oiseaux migrateurs: collés comme une couvée d’oisillons pris entre la peur et le désir de découvrir le vaste monde, les 12 interprètes de S’envoler (parmi lesquels Clareton, qui remplace une danseuse blessée, et l’acrobate de Québec Louis Maltais, qui s’est récemment joint à la compagnie) finissent par incarner une métaphore du passage à l’âge adulte et du processus d’individuation. Hésitations, maladresses et joie explosive des grandes envolées colorent ce portrait sensible et souvent drôle d’une humanité jonglant avec ses forces et ses vulnérabilités.
Au fil des reprises et des tournées au Mexique et aux quatre coins de la province, la pièce n’a guère changé, si ce n’est d’un passage où un loup vient jeter le trouble. "Au début, l’arrivée du loup provoquait un changement radical, et ce n’était pas juste par rapport à la façon dont toute la pièce se déroule, tout en glissements et en fluidité. Il apparaissait comme une menace extérieure alors qu’il représente plutôt une angoisse présente en chaque membre du groupe, qui se relève avec l’arrivée de la nuit. J’ai aussi ajouté ensuite un solo pour Jamie Wright, qui danse en duo avec le loup, pour montrer qu’elle est allée au bout d’une peur, qu’elle l’a confrontée et qu’elle s’en est libérée."
Cette oeuvre lumineuse est habillée par les éclairages subtils de Martin Labrecque et portée par la bande sonore prégnante d’Éric Forget. Une occasion d’apprécier une facette du travail de Clareton entre Étude sur l’amour/hiver, présentée par les finissants de l’École de danse de Québec en juin dernier au Théâtre de la Bordée, et les chorégraphies intégrées à Jocaste reine, programmée au même endroit en février prochain.