Projet blanc, Olivier Choinière : Ne tuez pas le théâtre
Scène

Projet blanc, Olivier Choinière : Ne tuez pas le théâtre

Tels des espions, sous le couvert d’une innocente promenade dans le centre-ville munis d’appareils-audio et d’écouteurs nous diffusant un commentaire déstabilisant, nous étions une soixantaine de promeneurs, jeudi le 3 novembre, à suivre le déambulatoire théâtral conçu par Olivier Choinière pour un seul soir. Poursuivant son questionnement sur la représentation et la place qu’occupe le spectateur au théâtre, au coeur de la pièce Chante avec moi (Prix de la critique remis par l’AQCT), Choinière pousse plus loin l’expérience avec Projet blanc, le happening le plus subversif que L’Activité n’ait mis sur pied jusqu’à ce jour. La critique sociale s’y lie fort habilement à une aventure intime que chacun des participants vivait ce soir-là, en devenant le spectateur «actif» que notre guide nous invitait à devenir avec lui.

Alors que le 12e Congrès du théâtre québécois propose les 4 et 5 novembre une réflexion sur «Les théâtres institutionnels et le développement de l’art théâtral», le dramaturge nous a accompagné pour une incursion confidentielle dans une des grandes institutions théâtrales québécoises. Personne ne savait à quoi s’attendre, la nature du Projet blanc ayant été gardée secrète pour des raisons évidentes. Après avoir marché quelques minutes dans le Quartier des spectacles, guidés par une voix nous demandant d’être attentifs à ce qui se passe dans la rue, ici, maintenant, dans ce présent auquel on fait peu attention et qui est au coeur du théâtre, dont il est inséparable, nous rappelle-t-on, nous sommes entrés clandestinement au TNM. Perchés au paradis, nous avons assisté à la première partie de la représentation de L’École des femmes commentée par M. Choinière qui nous soufflait dans l’oreille des questions pour mieux lire la pièce dans laquelle le metteur en scène choisit de mettre Molière en dialogue avec notre époque. Pourquoi jouer Molière aujourd’hui ? Qu’est ce que le metteur en scène essaie de nous dire ? Quel est le théâtre qui est représenté sur la scène, avec ces personnages ni d’hier ni d’aujourd’hui, hors du temps ? En quoi le théâtre qui nous est offert par l’institution s’inscrit-il dans son époque ? C’est à travers vous, spectateurs, qu’il est contemporain, à partir du regard de celui qui le reçoit, nous amène-t-il à comprendre au fil de la lecture guidée, de manière fort adroite et délicieusement séditieuse.

La dissidence aura rarement été si efficace qu’à travers ce partage en petit nombre d’une critique théâtrale vécue en direct, nourrie d’humour, mais surtout d’une indignation courageuse, alors que nous observions les réactions du public, dont nous étions aussi, que le metteur en scène, les acteurs, les directeurs de théâtre et toute la machine de propogande mercantile s’affairent à endormir, nous dit notre guide, pour mieux le manipuler. C’est à ce public passif que Choinière demande, tout au long de ces deux heures : « Pourquoi êtes-vous ici ? Qu’est-ce qui se passe devant vous ? », ramenant sans cesse l’expérience à ce présent «actif» qui crie : «Réveillez-vous ! Exigez un théâtre à la hauteur de votre intelligence ! Ne prenez rien pour acquis!»

Lorsque le petit groupe de spectateurs pirates s’est ensuite retrouvé dehors, face à l’institution nous présentant un Molière ni d’hier ni d’aujourd’hui, faisant diversion à une réalité complexe, on s’est arrêté un instant devant le bâtiment. Ce théâtre qui a fermé ses fenêtres sur la rue, pour ne pas voir ce qu’il ne représente pas, ce présent exigeant qui demande à être lu et relu, chaque jour, pour vivre avec lui sans le réduire à un concept abstrait, désincarné, qui assassine l’art. Pour que le théâtre ne meurt pas, Projet blanc a donc convoqué un petit public d’un soir qui, dans le secret de notre visite clandestine d’un théâtre institutionnel, a vécu quelque chose qu’il doit désormais transmettre à ses pairs pour que jamais ne se fige le théâtre qui est l’art de la vie et du présent. Ne l’oubliez pas, nous chuchotait Choinière, fidèle gardien d’un art qui ne se contente pas des alexandrins de Molière en guise d’héritage, et des dreds d’un acteur en guise de présent.