Jackie : Poupée de cire, poupée de son
Depuis une Maison-Blanche aseptisée, Jackie O livre, sous les traits de Sylvie Léonard, un témoignage au fil duquel la femme se réfugie derrière une robuste image-bouclier.
Jackie
est tirée du cycle Drames de princesses, allégorie subversive de l’Autrichienne Elfriede Jelinek, Prix Nobel de littérature en 2004. De ce triptyque, dont les autres fractions dressent un portrait insolite de Blanche-Neige et de la Belle au bois dormant, les metteurs en scène Denis Marleau et Stéphanie Jasmin ont extrait le monologue livré par la mythique ex-première dame des États-Unis. Sylvie Léonard se jette dans la fosse aux lions, s’attaquant au défi de donner vie à une légende troublante de contradictions.
Ambitieux défrichage
"Quand j’ai lu le texte pour la première fois, j’ai compris l’ampleur du travail à accomplir. Je voyais la destination à l’horizon, mais je me trouvais devant une forêt si dense que je ne pouvais voir le chemin", relate Sylvie Léonard. La préface de Jelinek traduit cette nébulosité quant à la forme, ne prodiguant que de vagues et modestes conseils, comme si l’auteure avait elle-même du mal à concevoir un gabarit définitif à partir duquel son diamant brut devrait être taillé. "Notre travail en a été un de dépouillement, c’est-à-dire que nous avons évité de toucher à l’onirique ou au trop métaphorique afin d’ancrer le drame dans un contexte réel, sans pour autant imposer un ton biographique", résume l’actrice.
Questionnée sur la structuration de la phase de mise en place, Sylvie Léonard évoque un processus de "soulèvement de piliers", conformément à une séquence de phrases clés dans le monologue de Jelinek. S’est rapidement imposé un lieu, ou plutôt un "non-lieu", croisement entre l’aéroport et la salle d’attente d’une âme en transit. "Dans ce cadre, relate la comédienne, le spectateur prend son envol, ou plonge en apnée, pénétrant dans la tête du personnage à travers une pensée que je livre sans pause, sans respiration."
"Jackie, c’est un climat, un personnage dans un certain état, plutôt qu’une narration en bonne et due forme", poursuit celle qui dit ressentir sa personnification de la "princesse" en question s’amplifier dès son entrée dans la loge. Jackie jusqu’au bout des doigts, Sylvie Léonard a également dû se soumettre à une exigeante discipline vocale afin que le ton de son personnage se module selon l’épisode de sa vie qu’elle narre. Elle ajoute: "Le regard contredit souvent le discours, comme si un oeil regardait l’autre pour s’assurer qu’il dise la bonne chose."
La caméra complice
Sur scène comme en coulisse, la Jackie imaginée par Marleau et Jasmin est pourchassée par une caméra retransmettant sur écran le détail du visage de l’interprète. Magnétique, Jackie s’amuse avec l’appareil, le manie, calculant avec une dextérité désarmante ses expressions pour ne laisser transparaître que ce qui s’harmonise à l’image publique qu’elle s’est créée. Reconnue pour son travail au grand comme au petit écran, Sylvie Léonard a acquis une aisance avec l’instrument. "Denis m’a dit qu’il était fasciné par ma composition avec la caméra, par ma façon d’en faire ma complice, mais ce n’est pas quelque chose que j’exécute consciemment", nuance-t-elle.
En ressuscitant une icône dont la vie entière s’est déroulée sous les feux de la rampe, Elfriede Jelinek a exploré la pénombre inhérente au bain de lumière. Telle une photo surexposée, l’image immaculée de Jackie Kennedy Onassis dissimule tout élément qui pourrait laisser échapper le spectre d’une profonde souffrance. Portant ses mains à son cou dans un geste remarquablement antithétique par rapport à la retenue du personnage qu’elle défend sur scène, Sylvie Léonard affirme: "J’ai ressenti ce côté étouffant quand j’ai commencé à habiter Jackie. Ce devait être excessivement douloureux d’être à la fois magistrale et absente."