Mon frère est enceinte : Portrait de famille en porte-à-faux
L’auteure et comédienne Johanna Nutter scrute les travers de sa famille atypique avec ironie et tendresse dans Mon frère est enceinte, un petit bijou théâtral fait avec presque rien.
Entre toutes les démarches autobiographiques et confessions publiques qui sont légion aujourd’hui, le solo de Johanna Nutter fait partie de ces oeuvres personnelles inspirées de la réalité qui évitent le piège de l’exhibitionnisme ou de la banalité. Il faut dire que la vie familiale excentrique de la Montréalaise offrait une matière déjà romanesque, ce qui lui a inspiré cette pièce intimiste émouvante et colorée.
Nutter a grandi avec une mère hippie monoparentale et une soeur transgenre et toxicomane qui est devenue son "frère", puis mère d’un enfant. Sans détour et cherchant la proximité du spectateur à qui elle s’adresse directement, l’actrice fait le portrait désopilant de sa famille dysfonctionnelle, un récit captivant qui se promène entre l’ironie mordante et l’autodérision. Pilier d’une famille bancale, décidée à s’en affranchir, puis craquant devant la détresse de son frère dépendant et de sa mère irresponsable, Nutter se montre aussi courageuse que vulnérable. Sa confession tantôt moqueuse, tantôt compatissante en face d’une soeur perdue entre sa maternité boiteuse, ses questionnements identitaires et les malaises que son travestissement provoque socialement, expose la dureté des rapports familiaux avec un humour noir incisif et un élan frais de spontanéité.
La mise en scène minimaliste de Jeremy Taylor s’accorde parfaitement avec la mise à nu sans artifice de Nutter, pieds nus sur scène, qui trace elle-même son décor à la craie, soit les rues de Montréal au sol puis le mont Royal au mur, inscrivant son histoire dans un cadre plutôt léger et rigolo. Le récit est pourtant très dur par endroits, mais jamais larmoyant. L’actrice polyvalente, vraie et lumineuse passe du rire au drame en un clin d’oeil, transmettant une gamme d’émotions variée avec une franchise désarmante. La scène de l’accouchement de son frère est particulièrement truculente et montre l’étonnant pouvoir d’évocation du jeu très expressif de l’actrice, qui parvient à recréer à elle seule une scène entre elle, son frère, le bébé et les médecins.
L’auteure bilingue a traduit sa pièce d’abord créée en anglais et présentée au Festival Fringe en 2009, et maintenant jouée à La Petite Licorne en français et en anglais. Nutter trébuche parfois sur quelques mots dans la version française, mais la maladresse participe au charme de ce spectacle qui mise sur le naturel et expose la fragilité d’une femme osant montrer ce qu’il y a de plus honteux dans la famille, ce qui la rend détestable et si attachante à la fois.