HA ha!… : Noir carnaval
D’une joyeuse et débordante anarchie, le HA ha!… de Dominic Champagne libère sans retenue les excès d’une humanité qui rit et se débat au milieu du chaos.
La valse étourdissante qu’entament les personnages de HA ha!…, qui s’évertuent à jouer dans un monde en démolition, à jouir au coeur de la bêtise, est empreinte de tragique, mais aussi de dérision et de liberté. De condition médiocre, les êtres déchus de cette satire n’en sont pas moins excités et pleins d’une folle énergie, d’un sursaut de vie jaillissant du fond de l’abîme. La langue dévergondée de Ducharme y est une force sauvage qui balaie tout sur son passage, remuant la crasse et la laideur transformées en une fête anarchique dont le metteur en scène a choisi d’appuyer la note joyeuse et grotesque pour en faire une sorte de carnaval au rire subversif.
Misant sur l’éclatement de la forme et de la parole, proférée comme un acte de révolte et de résistance face à la destruction des valeurs, Champagne a placé ses personnages dans un décor déstructuré et surchargé d’un fatras de babioles et d’artifices qui composent l’univers chaotique de cet appartement où le désordre règne en maître. Champagne projette sur un écran des collages de mots tirés du texte en couleurs vives, rappelant l’esthétique psychédélique de l’époque, mais contribuant aussi à l’esprit très bande dessinée de son adaptation où la gestuelle, qui tire parfois vers le burlesque, contribue à faire de ce HA ha!… un show grinçant, mais surtout clownesque et festif. L’esprit déjanté des années 1970 qui ont vu naître la pièce devient un souffle de vie et d’éclats de rire qui donne des ailes à notre époque en perte de repères idéologiques. En dépit de l’écroulement de l’ordre, nous disent les personnages, crions, chantons, agitons-nous et créons dans la destruction!
Le jeu des personnages est exacerbé dans leur délire plus parodique que tragique, avec une Sophie hystérique incarnée par une Anne-Marie Cadieux déchaînée et un Roger (François Papineau) poète de taverne plus désinvolte qu’existentiel. Au mal de vivre, profondément ancré dans l’oeuvre de Ducharme, supplée souvent ici l’exaltation d’une folie libérant un rire qui n’est pas sans rappeler le carnaval rabelaisien. La trivialité triomphe chez Marc Béland qui compose un Bernard alcoolique particulièrement fort, déchiré par une détresse creusant ce corps pantin qui a perdu sa structure et valse au bord du gouffre. Les clowns virent à la noirceur en seconde partie, plus tragique que la première, où Mimi, la souffre-douleur jouée par une solide Sophie Cadieux qui se lamente en une complainte au summum de la pitié affectée, tente en vain de préserver un peu de candeur et de dignité de la déchéance des trois autres. Hymne à la joyeuse décadence, ce HA ha!… explosif rit de notre tendance sadomasochiste à nous complaire dans l’échec et fait voler en éclats toutes les chaînes de la liberté.
HA hadulterie!…
Quitter l’enfance, c’est mourir imperceptiblement, ou, à tout le moins, s’avilir virtuellement dans une sale compétition absurde. Le jeu devient méfiance; le rire, sarcasme; l’innocence, cruauté; l’amitié, haine; l’harmonie, controverse; l’implicite, explicite. Point d’issue attendue! Que d’inespéré à s’empêtrer dans les mailles de l’amertume si vaste devenue Océan!
Des abus. Des abusés. Désabusés. Usés.
Ducharme n’a jamais été aussi actuel et mordant, 33 ans perdurant la création de cette boucherie universelle. Car il s’agit bien de massacrer l’autre dans ce qu’il a de plus vrai, de plus pur. Comme une décomposition orchestrée de l’âme. Le TNM s’y adonne en quatre partitions époustouflantes assumées sans équivoque par quatre magnanimes comédiens aux moignons écorchés vif et amputés de toute compassion. Les nombreuses ovations offertes à nos quatre lys (Cadieux par deux Sophie Anne-Marie, François Papineau et Marc Béland), nous ont confirmé à quel point Ducharme, régent de notre pays circoncis, fait partie de notre inconstant collectif à avaler sans toutes nos dents blanches ou à vomir de toutes nos forces d’hiver maghané dans le noir élixir de l’intendresse.
Guéris-nous, « gai Bérénice, gai! », toi la grande porteuse de victoires, toi l’héroïne, « la vainqueuse, la témérêtre, l’incorruptable », au nom de l’enfance en réclusion. C’est juste trophoux de sculpter des vies vides à partir de débris humains comme Mimi, Sophie, Bernard et Roger.
« Sans enfants sur la Terre, il n’y aurait rien de beau. » Avec ces adultes sur la scène, tout devient irrémédiablement laid. Et si le langage du charme joualisant ne suffit plus à décrire leur décrépitude, faut-il pour autant exclamer et trasher ces souffrances par trop humaines? Si oui, alors vacherie de vacherie : « Haïssez-vous, bande de bouffons! » dans la moite solitude de vos insultes morbides et grisantes jusque dans la soulerie de l’écoeurement. « Nous ne serons pas vieux mais déjà las de vivre» (Nelligan). Sans rêves pour sombrer éternellement.
Ducharme suggère un vernis de déchéance dans HA ha!… Champagne en exhibe l’effervescence du décapant. Vinaigre moment à vivre en Adulterie, cette porcherie de désillusions. Ouf!
Quel magnifique critique de la pièce de Ducharme que je n’ai pas vu mais que je vais aller voir. étant un fan invétéré de Ducharme, je vois que tu as tout saisi de son oeuvre. Tu me donnes tellement le goût d’aller le voir. Mais surtout avec ses acteurs. J’ ai vu la première version de Jean-Pierre Ronfard mais j’étais jeune..je me rappelle surtout de la finale avec je crois que c’était Jocelyne Goyette, qui m’avait beaucoup touché, qui jouait le rôle de Sophie Cadieux. je ne me rappelle plus des autres comédiens. Je suis entrain de lire la pièce en ce moment, difficile au début, mais après on pogne le jbeat..
Super texte que tu as écri!
Michel