Marie Chouinard : La pensée en action
Marie Chouinard donne corps aux mouvements de la pensée dans Le nombre d’or (live), une oeuvre pour 14 danseurs créée l’an dernier à Vancouver.
À quels savants calculs Marie Chouinard s’est-elle livrée pour appliquer à la chorégraphie ce nombre magique garant de la beauté issue de la parfaite proportion? Absolument aucun. "Le nombre d’or est utilisé par les architectes et plusieurs artistes comme le compositeur Louis Dufort qui construit depuis toujours ses musiques selon celui-ci, commente la chorégraphe. On collabore depuis des années et on a toujours été étonnés de voir à quel point nos créations concordaient. Je me suis dit que si j’étais aussi alignée sur le nombre d’or, je pouvais bien donner ce titre à l’une de mes pièces!" lance-t-elle dans un éclat de rire.
Pourtant, c’est bien à une forme mathématique que Le nombre d’or (live) renvoie: celle de l’intelligence et des mécanismes de la pensée. Cherchant à matérialiser dans l’espace les cheminements parfois inattendus de celle-ci, Chouinard crée des liens entre des éléments en apparence sans rapport et montre comment une logique incertaine peut entraîner des enchaînements d’actions qui semblent naturels. "On pense beaucoup par images. Il y a des idées qui déboulent, des images suspendues… Ces rythmiques sont la base de la communication. Concrètement, montrer les mouvements de la pensée dans l’espace est un exercice très difficile pour les danseurs. C’est comme s’ils installaient des gestes dans l’espace, s’en éloignaient et laissaient leurs répercussions vibratoires les affecter même quand ils sont plus loin."
Ce processus a fait grimper ses danseurs plus haut dans les sphères de l’art de l’interprétation, selon la chorégraphe qui ne tarit pas d’éloges sur la maestria de Carol Prieur, sa complice depuis plus de 15 ans, sacrée danseuse de l’année par le magazine allemand BalletTanz après la présentation du Nombre d’or en Europe.
Si l’on retrouve dans la pièce les jeux avec le souffle et la voix caractéristiques du travail de Chouinard, elle y introduit aussi du nouveau. Une rampe s’avance sur plus de 12 mètres dans la zone du parterre, induisant un autre rapport danseurs-spectateurs. À cela s’ajoutent la diffusion d’images des danseurs filmés en direct et la présence de masques. "Avec un masque, le moindre mouvement de tête souligne le mouvement des yeux, de la pensée, justifie la géniale créatrice. Tous les danseurs portent le même masque sans qu’aucun ne ressemble à l’autre, car chacun en donne une lecture différente." À ce titre, chaque spectateur choisira le sens à donner à ce masque d’un personnage public canadien dans une scène humoristique de cette oeuvre intense aux accents dramatiques.
Je n’ai ressenti qu’un regret après le Nombre d’or (Live); celui de ne pas m’être procuré un billet pour chacune des représentations!
Pour peu que l’on s’en donne l’effort, la connaissance du Nombre d’or est intéressante et permet de mieux comprendre, si cela est possible, la trame invisible de la dernière oeuvre de Marie Chouinard.
Le Nombre d’or est d’abord un nombre infini, 1,618 033 989 ….. comme l’interprétation ou l’appréciation que chacun des spectateurs pourraient faire de ce qui lui a été présenté, moi y compris, naturellement.
Le nombre d’or est aussi, selon Wikipédia, « l’unique rapport entre deux longueurs telles que le rapport de la somme des deux longueurs (a+b) sur la plus grande (a) soit égal à celui de la plus grande (a) sur la plus petite (b) c’est-à-dire lorsque (a+b)/a = a/b ». Compliqué, sinon complexe direz-vous ? À l’image de l’oeuvre présentée, mais sans oublier « unique » comme le rapport des longueurs et surtout magnifique et captivante.
Le Nombre d’or est aussi un nombre irrationnel comme pour les territoires psychiques qu’il explore brillamment. Même les êtres rationnels ou qui se déclarent comme tel, ont leurs zones (oui, au pluriel !) qui peuvent surprendre et être fascinantes.
Le Nombre d’or est aussi « la solution positive à une équation simple » d’apparence mais néanmoins complexe. Tout à fait représentatif de ce que nous avons pu découvrir durant une heure et vingt minutes.
Enfin, le Nombre d’or « est souvent désigné par la lettre φ (phi) ». Phi pour philosophie pour le sens de la vie qu’il est tentant de dire et que Marie Chouinard a, selon moi, exploré de façon créative.
Une fois cette entrée en la matière complétée, je peux dire que le message a transcendé grâce surtout aux danseuses et danseurs, talentueux mais surtout dédiés à l’oeuvre. Ils dansent superbement mais aussi ils interprètent de la même façon et oui, Carol Prieur est hypnotisante La musique de Louis Dufort soutient le propos et la scénographie est efficace. Et comme le disait Alain Fortaich, « Le Nombre d’or » mérite définitivement qu’on le découvre plus qu’une fois. À quand la reprise ?