Sauce brune : Tragique tabarnak
Scène

Sauce brune : Tragique tabarnak

D’abord un nom propre ou commun, on l’emploie comme élément de ponctuation et on le conjugue. Psychanalyse du juron canadien-français, vedette de Sauce brune, de Simon  Boudreault.

Forte d’une rumeur favorable depuis sa création à l’Espace libre, en 2009, la pièce Sauce brune, dont le texte et la mise en scène portent tous deux la signature de Simon Boudreault, relève du phénomène de société. Encensée par les Michel Tremblay et autres Nancy Huston, cette coproduction du Théâtre la Catapulte installera à La Nouvelle Scène, à l’occasion d’une courte série de représentations, la cafétéria qui lui sert de décor et au coeur de laquelle les quatre protagonistes, des cantinières, font preuve de franc-parler. "Alors qu’elles ne cessent jamais de travailler, les cantinières parlent, parlent, parlent, mais ne communiquent pas. Chaque personnage est emprisonné dans un drame qu’il ne peut pas exprimer", clarifie le créateur.

Antagonique à la banalité du contexte qui sert de lieu à l’intrigue, une aura de tragédie découle de Sauce brune. "Une des cantinières, détaille Simon Boudreault, devient tellement tendue après avoir été exposée à une menace de perte d’emploi qu’elle commettra une action qui produira exactement ce qu’elle tentait d’éviter." Au-delà de l’incontournable prophétie qui hante le théâtre classique, la structure de Sauce brune, dont la chronologie se déploie dans un court espace-temps, est semblable à celle des tragédies.

La pièce s’appuie fondamentalement sur une démarche linguistique qui s’est amorcée avant la première lecture du texte, en 2003, et qui a trouvé un écho inattendu quand s’y est intéressé Artiom Koulakov, un linguiste russe qui s’affaire à la constitution d’un dictionnaire français-russe des sacres québécois. Le dramaturge soutient: "Les sacres québécois réfèrent à la religion, ce qui est unique à notre société, mais en les modelant comme on le fait, on les dépossède de leur sens premier. Ils deviennent des interjections purement sonores, brutes, instinctives et animales qui expriment une émotion."

Afin de rendre justice aux subtilités langagières de la grossièreté, Simon Boudreault a fait appel à un noyau d’actrices ayant accepté de plonger dans le défi il y a déjà huit ans. "Elles sont capables de soutenir des phrases très longues, au souffle tragique donc, tout en traduisant une quotidienneté qui n’est pas étrangère à la musique unique du sacre." Une histoire tragique ponctuée d’une musique à la partition soigneusement établie… Sauce brune: un opéra sur l’identité québécoise?