Sébastien Harrisson : Rilke fait des petits
À l’ère d’Internet et des réseaux sociaux, les jeunes peuvent-ils encore être séduits par les livres? Le dramaturge Sébastien Harrisson le croit, persuadé aussi que Rainer Maria Rilke et ses Lettres à un jeune poète déclenchent encore les passions.
C’est dans sa Gaspésie natale que Harrisson tombe pour la première fois, vers 14 ans, sur les Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke, parues en 1929. C’est la révélation pour le futur créateur qui a hâte de voler de ses propres ailes, de prendre la plume pour exprimer sa vision du monde. De ce classique de la littérature qui révèle une correspondance entre Rilke le sage et Franz Kappus, alors âgé de 19 ans, il émane des réflexions sur l’existence et sur l’art; des phrases qui ouvrent des portes sur l’inconnu.
Encore jeune et fringant, Harrisson s’en est inspiré pour créer Musique pour Rainer Maria Rilke, une intrigue dans laquelle interviennent des personnages réels (Éric Paulhus joue Kappus), et d’autres contemporains, imaginés par l’auteur (incarnés par Macha Limonchik et Sophie Desmarais). Parmi ceux-ci, il y a Nathan (Maxime Carbonneau), un adolescent d’aujourd’hui bouleversé par des révélations au sujet de sa propre naissance… Les lettres de Rilke (Albert Millaire) éclairent le chemin fastidieux sur lequel il s’engage pour résoudre une énigme.
Désir de transmission
"C’est un peu une manière de rendre à d’autres ce que j’ai vécu au contact de ce livre à l’adolescence. C’est ce qui m’a amené à sortir de mon coin, à voyager, à aller vers le théâtre, à me trouver. Je veux montrer que les livres nous permettent de comprendre les autres, d’aller vers eux. Il y a un lien très fort qui se crée entre un lecteur et son livre. Il y a peu de choses qui égalent ça en art."
Pour faire cohabiter l’époque de Rilke et le présent, le metteur en scène Martin Faucher a imaginé sur scène un espace flottant hors du temps. "L’abstrait et le concret s’y côtoient. Les jeunes sont à l’aise avec ça à cause de leur rapport avec le fantastique. Il n’y a que les liens entre les personnages qui doivent être vrais. C’est là que les jeunes cherchent des vérités. Je crois qu’on y est arrivés." Notre époque a bien besoin de ce genre de création qui remet à l’ordre du jour l’importance de la transmission et des maîtres qui inspirent!
Poète à la lettre
Écrire en quête de soi donnant ainsi un sens ultime à la vie. Ou mourir. À ce titre, jamais la littérature ne déçoit la créature qui s’y livre, car elle permet de décoder les signes comme des faisceaux d’ombres et de découvrir l’énigme de la création dans le gouffre inventé de la solitude à la mèche courte.
L’influence d’un livre et l’effet Rilke suffiront à ouvrir un chemin sans fin que nul autre que soi ne pourra emprunter parce que trop spécifique, trop intimiste, trop secret. Il faut pouvoir se guider soi-même dans le labyrinthe d’inextricables dédales pour vaincre seul le doute et pour trouver sa propre vérité sans être redevable à Ariane. Croire et croître. Il en va de cette manifestation solitaire de l’accomplissement harmonieux de soi (voire même de l’acceptation heureuse de soi) pour rejoindre la solidarité humaine et aspirer à l’universel.
Le texte de Sébastien Harrison est trouble et tente de viser l’essentiel comme la mise en scène dépouillée de Martin Faucher qui suit la musique intérieure d’un Nathan rebelle et perturbé qu’un Maxime Carbonneau troublé rend très crédible, d’une Lou-Lou-Anna à la fois radieuse et sombre dans la versatilité sensible de Macha Limonchik, d’une Éléonore resplendissante d’espièglerie interprétée par Sophie Desmarais, et d’un Rilke rendu peut-être un peu trop cérébral, froid et pompeux par Albert Millaire et dont l’écart d’âge avec Frank Kappus (Éric Paulhus) rend la relation épistolaire fausse ou plutôt artificielle, même s’il est vrai que le poésie transcende les générations. Mais les corps étrangers corrompent le propos. Balzac avait raison : « Il est des sons que l’espace épure et qui arrivent à l’oreille comme des ondes pleines à la fois de lumière et de fraîcheur » (Séraphita). Là se trouvait le lyrisme, sans pour autant enlever le mérite de l’aventure théâtrale au service de la poésie et des hommes.