Musique pour Rainer Maria Rilke : Une bouteille à la mer
Dans Musique pour Rainer Maria Rilke, les Lettres à un jeune poète reviennent nous happer sous une forme nouvelle, en nous rappelant le beau et le tragique de ce moment précis où la candeur juvénile se brise.
À quelle musique peut ressembler le bruit que font les illusions lorsqu’elles cessent d’exister, explosant sous le coup d’une révélation ou d’un geste qui change l’ordre établi jusqu’alors? Puisque c’est généralement à l’adolescence que survient l’éveil à la réalité, c’est aussi à ce moment que des oeuvres arrivent à la rescousse comme des bouées, le temps de réfléchir. Parues en 1929, les Lettres à un jeune poète de Rilke en ont peut-être sauvé plusieurs des flots, ouvrant aussi la voie à d’autres lectures et déclenchant du coup des passions artistiques.
Cette musique de la fin des illusions, l’auteur et directeur artistique du Théâtre Bluff Sébastien Harrisson l’a imaginée à travers ces lettres dont il s’est inspiré pour créer sa pièce dans laquelle un jeune, ébranlé par une révélation, trouve un certain réconfort dans un livre qu’une étrange bibliothécaire lui remet.
La cohésion entre le passé de Rilke et le présent de l’ado imaginé par le dramaturge fonctionne plutôt bien, à l’exception du niveau de langage et des accents un brin ostentatoires qui soulignent à gros traits l’époque à laquelle appartiennent Rilke et son correspondant Kappus.
Chez les jeunes du présent siècle incarnés par Maxime Carbonneau et Sophie Desmarais, pas de caricature ni de jeu appuyé pour parler avec "coolitude" aux jeunes. Ils sont touchants de vérité. Macha Limonchik interprète pour sa part deux femmes que tout oppose – ou presque…! – avec une conviction imparable.
Silences formateurs
Sobre, atemporelle, statique sans alourdir l’essence de la pièce qui repose plus sur des mots que sur des actions, la mise en scène de Martin Faucher est juste assez aérée pour laisser place aux silences introspectifs nécessaires quand on aborde une "dramaturgie d’apprentissage". On apprécie ce rythme lent pour ingérer un contenu qui, sans être ardu, n’amuse pas à coups de petites blagues faciles pour maintenir l’intérêt.
Comme une bouteille lancée dans une mer de technophiles de moins de 20 ans, Musique pour Rainer Maria Rilke, qui rappelle que la littérature est capable de former, de panser, de propulser, peut assurément provoquer un déclic, amener une conscience en gestation vers des phrases plus longues que des tweets.