La liste : Négligence criminelle
Scène

La liste : Négligence criminelle

Seule sur scène, Sylvie Drapeau sera la voix et le corps de La liste, mise en scène par Marie-Thérèse Fortin.

"D’entrée de jeu, relate Sylvie Drapeau, cette femme que j’interprète vient dire au public: "Je suis responsable de la mort de ma voisine. J’ai manqué de rigueur, j’ai manqué de discipline. Mais laissez-moi vous raconter ce qu’était ma vie, alors.""

Cette vie, c’est celle d’une mère au foyer qui élève seule trois enfants, son mari étant tenu à distance par le travail. Sur fond de campagne, cette tâche la confine à une grande solitude. Dans le malstrom des besognes quotidiennes, sur la liste des choses à faire, elle a inscrit un service à rendre à sa voisine, petit geste qui aurait pu faire la différence. Mais le quotidien a pris le dessus, et la pièce débute, sous la forme d’une confession.

Dès son premier contact avec le texte de Jennifer Tremblay (récipiendaire du Prix du Gouverneur général 2008), la très multitâche Marie-Thérèse Fortin a su qu’elle ne voulait personne d’autre que Sylvie Drapeau pour le rôle. "Ce personnage tombe en extinction. Sa vraie nature, sa vitalité, son désir sont en train de disparaître au profit d’une liste de tâches à accomplir. Certaines choses sont dites, il y en a d’autres qu’il faut faire ressentir au public. Et ça, je savais que Sylvie en était capable: faire ressentir beaucoup avec très peu, juste par sa présence et sa façon de dire un texte."

La metteure en scène, qui assure également la direction artistique du Théâtre d’Aujourd’hui, où a été créée la pièce, poursuit ses bons mots: "C’est étonnant parce que souvent, dans les théâtres, on va engager des gens qui passent à la télé pour attirer le public. Sylvie est la seule actrice, ou alors une des rares, au Québec, qui ne fait pas de télé et qui remplit une salle de théâtre."

La principale intéressée renvoie pour sa part les compliments en amont: "C’est un texte extraordinaire, extrêmement puissant. Un texte qui fait frémir, parce qu’on a tous été négligents à un moment ou à un autre de notre vie. Il nous remet face à la responsabilité qu’on a envers les autres."

Dans une écriture que la metteure en scène qualifie de "dépouillée, mais très efficace", nous est donc livrée une histoire qui, sous couvert de banalité, articule une métaphore autour de "ce qui nous préoccupe tous, aujourd’hui, dans le monde". Le banal, c’est celui du quotidien, rempli d’objets dont le nombre finit par nous enterrer, celui d’une société croulant sous le poids de ses propres exigences. "L’environnement de cette femme-là est très important, soutient Marie-Thérèse Fortin. Tout lui parle. Parce que quelque chose s’est ouvert depuis la mort de sa voisine. Sur scène, on joue donc avec la symbolique des objets, qui se mettent à avoir une vie propre."

Sylvie Drapeau évoluera ainsi dans une ambiance chargée, où les objets se posent en révélateurs du monde intérieur de son personnage, de son trouble et d’une claustration qui n’est pas l’apanage de la campagne: "C’est un isolement intérieur: il est très exigeant d’avoir trois enfants en bas âge et aucun adulte avec qui parler. Cette solitude et cet éloignement du monde, on peut toutefois les vivre même dans une grande ville."

Une histoire simple, certes, dans laquelle il est cependant difficile de ne pas entendre l’écho d’une société rapide, coupable de ses excès et de ses impératifs impersonnels et froids. "Il y a tellement à faire dans une journée. Trop à faire. Et parfois, on passe à côté du plus important, l’autre, vers qui on ne peut aller pleinement qu’en l’écoutant tel qu’il est. Ça, malheureusement, on le réalise quand l’autre personne est morte. Et il est trop tard", déplore Sylvie Drapeau.

Consciente du poids de ses paroles, la comédienne conclut sur une note moins grave, sans qu’on sache toutefois s’il y a réellement là matière à se consoler: "Mais on apprend, quand même."