Annette / Anne-Marie Olivier : Patinage de fantaisie
Anne-Marie Olivier, jeune joueuse étoile du théâtre québécois, porte Annette sur ses épaulettes et en profite pour faire quelques tours du chapeau en province.
"La culture doit être diffusée partout. Pour qu’on puisse ensuite avancer ensemble." Pour accélérer le mouvement, Anne-Marie Olivier enfile ses patins et sillonne la province avec Annette, un conte urbain sur le Québec, le hockey, le tricot, la mort et son contraire. En fait, Annette, c’est l’histoire d’une vie.
Une vie, ce n’est jamais plate, surtout quand c’est une comédienne du calibre d’Anne-Marie Olivier qui se charge de la détailler avec son langage de crayons à colorier.
Avant Annette, il y eut Gros et détail, son premier solo qui lui permit d’accéder au panthéon des diplômés du Conservatoire de Québec, école reconnue pour former des "acteurs-créateurs" (pensez Robert Lepage!). Et après, il y aura une tournée sur un show de Wajdi Mouawad, une mise en scène pour la conteuse Renée Robitaille, d’autres rôles ici et là, ainsi que du temps à consacrer à une toute nouvelle création.
La fille a un méchant coup de patin.
THÉÂTRE EN LAINE
C’est le 20 mai 1980. Annette est victime un AVC. Elle est alors projetée dans une partie de hockey, et sur la patinoire, c’est la game de sa vie qui se joue. Les grands moments de son existence défilent.
"Je voulais parler du Québec. Il me semble qu’on a des affaires à se dire. Pour ne pas être éteignoir, je suis passée par notre sport national. Ça permettait de donner une autre perspective", explique Olivier. À la mise au jeu, on nous transporte dans le Québec des années 50 à 80. "Ça fait longtemps, mais pas si longtemps que ça. Il s’en est passé du stock."
"Je rencontre beaucoup d’étudiants dans les écoles, raconte-t-elle subséquemment. Je leur pose des questions et des fois, j’ai des méchantes surprises. Qu’est-ce qui s’est passé en 70? "C’est des islamistes qui ont kidnappé Pierre Elliott Trudeau!" Euh… Je crois qu’il faut rétablir quelques faits!"
Déjà bien entourée par une généreuse équipe de concepteurs (le spectacle comporte des chorégraphies, des projections animées…), Anne-Marie Olivier n’a pas hésité à faire appel à différents spécialistes pour bonifier la réflexion lors de la genèse d’Annette. Il y eut des laboratoires, des vox pop, mais aussi des consultations d’historiens – "Tout ce qu’on dit a été vérifié!" – et de scientifiques (dont un neurologue quant à l’état du savoir sur le coma). "J’ai aussi fait des recherches sur la sociologie du sport. Quand tu regardes un match de hockey, il y a une partie de ton cerveau qui est convaincue que c’est toi qui joues. Il y a un processus d’identification. Quand ton équipe gagne, tu te sens plus fort, meilleur, t’oublies ta vie… Ce n’est donc pas pour rien qu’Annette se retrouve sur une patinoire!"
Mais ses principales recherches se sont faites sur le terrain. Dans Limoilou, un quartier de la basse ville de Québec que chantait si bien Sylvain Lelièvre, elle a fait quelques rencontres marquantes. "Entre autres avec un p’tit gars qui commençait à faire du bicycle. Ben smatte. Je le questionne sur son pansement, et il m’explique qu’il s’était battu. C’était un p’tit héros, un résilient."
Le deuil peut mener à une autre forme de résilience. D’ailleurs, la mort d’un être cher a beaucoup inspiré Anne-Marie Olivier pour l’écriture d’Annette. "J’étais inconsolable. Je voulais parler de cette perte."
Ça fait beaucoup de thématiques, non?! "Au début, c’était un gros chaos de tout ce qu’on voulait dire!" Et c’est peut-être ça qui explique l’usage de la laine afin de tricoter les liens de cette histoire. "Le tricot, c’est une métaphore autour de la création, mais c’est aussi pour parler de la filiation. Ma grand-mère était une mégatricoteuse!"
THÉÂTRE EN GLACE
Annette se joue directement sur la glace, ou plutôt, sur une patinoire synthétique. "Au départ, on avait un décor en bois qui référait à l’architecture de Limoilou, mais ça ne marchait pas pantoute."
"Un mois avant la création, on a appris l’existence de ces patinoires synthétiques. On a capoté et on a commandé ça des États-Unis. Quand j’ai essayé la patinoire, je me suis rendu compte que je ne savais pas vraiment patiner! [Rires.] J’ai eu très chaud!"
Et ce "méchant coup de patin" alors?! Une métaphore de journaliste pour signifier qu’Anne-Marie Olivier aborde le théâtre avec une fraîcheur bien aiguisée. "Moi, j’essaie de créer quelque chose d’unique. Ça se rapproche du conte parce que je parle directement aux gens. C’est de la poésie théâtrale super accessible. Tout ce qui m’importe, c’est le lien avec le spectateur. J’aime solliciter le coeur et l’esprit. Je veux sentir le courant électrique."
La fougue de la recrue et la sagesse du vétéran. On la veut comme capitaine.
J’ai vu la pièce hier à la Maison du citoyen. Inventif, frais, clin d’oeil à beaucoup d’événements, triste réalitée présentée avec des yeux d’enfants et un humour désarmant.