Jane Birkin / La sentinelle : Fuir le rocher
Scène

Jane Birkin / La sentinelle : Fuir le rocher

Le regard habité par les souvenirs, Jane Birkin aborde La sentinelle avec l’ardeur d’une artiste dont le parcours est modulé par un refus catégorique de rester en place.

Dès la rencontre entamée se dissipe l’intimidant nuage de la femme-mythe d’ordinaire associé aux artistes du calibre de Jane Birkin. On fait plutôt face à une humaniste, une créatrice qui a su voguer d’une collaboration à l’autre et qui, depuis le navire que Wajdi Mouawad a construit pour elle, pointe vers une rive où l’espoir abonde.

À la racine de La sentinelle, il y a Discours guerriers, parole guerrière, un diptyque englobant une sélection de textes traitant de la guerre ainsi qu’une réponse à ces extraits prenant la forme d’un monologue écrit par Wajdi Mouawad à l’intention de dame Birkin. Ce spectacle, une initiative de France Culture, a concrétisé l’admiration mutuelle que se vouaient les deux artistes. "J’ai ressenti une telle émotion en assistant à Littoral et à Forêts que j’ai appelé mes filles pour leur parler de cette écriture formidable", se souvient Jane Birkin, relatant du même souffle une soirée passée avec un Wajdi Mouawad nouvellement père. "Nous avons discuté de tout: de la vie, de la mort, des enfants, des filles…"

Reprise à New York, notamment, l’oeuvre du tandem Birkin-Mouawad a subi d’innombrables mutations, une mécanique qui, selon les prédictions de l’actrice et chanteuse, se reproduira assurément avant la représentation de vendredi, au Centre national des Arts.

Bien que les deux créateurs soient unis par un intérêt commun pour les grandes tragédies, l’itinéraire théâtral de Jane Birkin comprenant des titres tels qu’Électre et Hamlet, cette dernière affirme que cette affinité n’a eu aucune influence sur le jeu que lui a commandé le metteur en scène. "Wajdi m’a incitée à incarner la sentinelle en souriant. Elle invite ceux qui naîtront à la rejoindre dans cet endroit épouvantable qu’est la vie, mais le fait parce qu’avec cette vie vient aussi l’amour."

La voix de Jane Birkin, dotée d’un timbre remarquable, est celle d’une femme engagée. Associée à la cause du peuple birman, avec lequel elle lutte contre les pratiques de la pétrolière française Total, elle incite les spectateurs assistant à sa plus récente tournée de concerts à venir en aide, au moyen d’un don, aux sinistrés du tsunami qui a ravagé le Japon en mars dernier.

Au milieu des années 1990, inspirée par sa participation à une version londonienne des Troyennes, l’activiste s’est infiltrée dans un Sarajevo ravagé par la souffrance de la guerre avec, en guise de cheval de Troie, l’Association Paris-Sarajevo-Europe. "Notre mission principale était d’apporter des livres, assez pour constituer une bibliothèque. Puis, j’ai distribué des dizaines de sous-vêtements et de chemises de nuit de toutes les couleurs. Avant que je parte, ma mère m’avait affirmé que quand on n’a rien, il reste le superflu", relate-t-elle, mentionnant au passage avoir également pris des photos des enfants dans les orphelinats à l’aide d’un Polaroid. "C’était la première fois qu’ils apercevaient une photo d’eux-mêmes."

Sur la scène du CNA, Jane Birkin retrouvera son complice Wajdi Mouawad, avant de s’esquiver, guidée par l’espoir de fructueuses rencontres. Elle narre, pétillante: "Mon frère m’a déjà raconté l’histoire de cette pieuvre qui, toute sa vie, parcourt les profondeurs marines à la recherche d’un rocher qu’elle pourra envelopper de ses tentacules. Puis, ayant cessé de se procurer de la nourriture, elle mange tranquillement son cerveau. Si je bouge beaucoup, c’est pour ne jamais atteindre le rocher."