Une heure avant : Fragments de vies
C’est dans l’univers troublant des aidants naturels que plonge le Théâtre La Rubrique avec son nouveau spectacle, Une heure avant.
Du théâtre à forte portée sociale sans être, de prime abord, politique, revendicateur ou moralisateur. Une écriture féminine qui n’est pas féministe à proprement parler. Et des digressions verbales qui, si elles bouleversent, n’en demeurent pas moins libératrices et porteuses d’un nouveau souffle. Voilà, en quelques mots, la toute nouvelle production du Théâtre La Rubrique, Une heure avant.
Une dure réalité
Le texte de Micheline Parent a été confié aux bons soins de la metteure en scène Josée Laporte, qui signe là sa première oeuvre professionnelle. "C’est un texte formidable! Ça raconte, par le truchement de cinq voix, l’histoire d’une fille qui recueille sa mère malade pour en prendre soin. Et comme toute relation d’aidant naturel, ça devient vite exigeant; ça devient une routine qui mine le quotidien."
Tout autour donc, il y a des gens. Des voisins, des parents, des amis… et chacun y va de son opinion, de ses observations. "Ce ne sont pas tant des personnages que des fonctions. La pièce est construite comme une partition chorale, polyphonique. Les répliques sont enchevêtrées comme une série de points de vue, de conversations qui viennent s’incarner de différentes manières. C’est une accumulation de fragments, de morceaux cousus ensemble. Tous les tabous y passent: la vieillesse, l’intimité des corps, la maladie, la mort", explique celle qui, au départ, est restée un peu ébahie d’avoir été approchée par la direction de la compagnie, compte tenu de son intérêt marqué pour un théâtre de recherche plus affirmé.
Retour sur les planches
L’enthousiasme de la metteure en scène pour cette oeuvre au propos d’une brûlante actualité est notamment partagé par Lyne L’Italien, qui a accepté d’emblée de remonter sur les planches pour la porter, à la demande du directeur artistique, Benoît Lagrandeur. "Je suis partie avec le texte pour le lire sur l’heure du dîner et j’ai eu un véritable coup de coeur. J’étais séduite par le fait que c’est un show de filles. Une heure avant, c’est la vie de tous les jours. Il y a des milliers de personnes qui vivent cette situation de proche aidant. Ça parle de la façon dont on s’oublie là-dedans. Du fait que ça remplit la vie en entier."
C’est aux côtés de Monique Gauvin, Maud Côté, Guylaine Rivard et Martin Gagnon – tous des collaborateurs de longue date de La Rubrique – que la directrice générale de la compagnie reprend du service comme comédienne après une pause d’une vingtaine d’années.
Sera-ce touchant? Bouleversant? Lourd? Cru? Drôle? Surprenant? "Un peu de tout ça, comme on dit dans le texte. Ça dit tout haut ce que souvent on pense ou on dit tout bas. Ce sera perçu selon l’intimité de chaque spectateur."
Et comment vit-elle son retour à la scène? "Assez bien… même si ça reste stressant, car la forme me sort de ma zone de confort. Nous sommes comme des conteurs. Il y a une distanciation entre nous et les répliques. On n’a pas à juger ce qu’on dit, à le ressentir. C’est au spectateur de travailler, de créer son propre sens. Il faut juste qu’on ait une confiance aveugle en nos partenaires de scène… et c’est le plus angoissant!"
De la forme
Josée Laporte abonde dans le même sens: "C’est très difficile comme travail de comédien. On a affaire à une dramaturgie de la parole. Ce texte supporte difficilement l’affect de l’acteur. C’est d’abord sonore, avec des répliques très courtes qui forment des bulles, un rythme musical. C’est très dynamique. Puis il y aura dialogue avec la technologie, que ce soit le son de Janine Fortin ou la vidéo de Stéphane Boivin et d’Andrée-Anne Giguère."
D’autres collaborateurs s’ajoutent à cette équipe pour donner une vision de l’intérieur, poétique et résolument artistique de cette relation entre aidant naturel et parent malade. La scénographie – espace composé principalement d’une grande structure verticale – est conçue et réalisée par Serge Lapierre, qui agira également (en collaboration avec Jessyka Maltais-Jean) à titre d’éclairagiste, alors qu’Hélène Soucy, costumière de son état, habillera les acteurs de ses "sculptures" vestimentaires.
Une heure avant promet donc d’être une expérience théâtrale riche et féconde brossant, avec une justesse étonnante, un vibrant portrait d’une réalité peu abordée.