Jérémie Niel : Sale famille
Un père, une mère et leur progéniture respirent leur bonheur d’être ensemble… "Les familles heureuses m’angoissent", répond Jérémie Niel à ce modèle de société qu’il déconstruit en danse et en théâtre dans Croire au mal.
"Il y a un fond de vérité dans ça, atteste l’auteur et metteur en scène à propos de la phrase extraite de son Pamphlet fielleux publié dans la revue Jeu. L’image me trouble. La famille est pour moi l’élément le plus frappant, le plus marquant et symbolique du bonheur à tout prix, du bonheur de façade. C’est une utopie qu’on nous rappelle en permanence et qui nous est imposée."
Intéressé dans ses projets par les "médiocrités de l’être humain", le directeur de la compagnie Pétrus a voulu craquer le vernis de cette convention sociale. "Quand on n’a pas d’enfants à mon âge, on s’en fait parler pratiquement toutes les semaines. Ce qui est contradictoire puisque d’un côté, il y a une pression pour tendre vers ce modèle, et de l’autre, il y a la réalité actuelle des familles décomposées et recomposées dont les magazines et la publicité ne tiennent pas compte."
La scène de Croire au mal est divisée en deux: d’un côté, un couple avec enfant (Jérémie Niel et Francis La Haye) qui passera d’une "situation heureuse à une situation dangereuse"; de l’autre, deux êtres fantomatiques (Simon-Xavier Lefebvre et Karina Champoux) qui incarnent "l’envers du décor" obscur où le mode d’expression est la danse. "J’aime cette liberté de m’extraire de corps narratifs ou réalistes pour aller vers des choses oniriques et abstraites", note le féru de danse qui a fait sa première incursion en créant une des pièces de Danse à 10 (2e Porte à gauche), l’automne dernier. "J’essaie de trouver un chemin personnel, singulier. Les mouvements ne sont pas super propres, ils sont même un peu sales", laisse-t-il planer à propos des chorégraphies de Croire au mal. Le personnage trouble de la mère, incarné par le comédien et danseur Francis La Haye, sera le seul à faire le pont entre les deux univers de la pièce.
Cette exploration à la frontière du théâtre et de la danse permet à Niel d’approfondir son écriture scénique qui repose sur un jeu introverti, une esthétique du silence et une économie de mots. "De tous mes spectacles, c’est certainement celui qui repose le moins sur une structure narrative. Cela me permet de travailler sur l’émotion à travers le corps. Comme avec Cendres où je me plaisais à créer des images avec les présences physiques des acteurs sur scène." Des images qui seront appuyées par la conception sonore de Jean-Sébastien Côté, avec la collaboration de We Are Wolves.