Le grand cahier : Trop humain
La jeune metteure en scène Catherine Vidal transporte sur les planches l’histoire effroyable du Grand cahier d’Agota Kristof.
Pour échapper aux atrocités de la Seconde Guerre mondiale, les jumeaux Klaus et Lukas se lancent dans une entreprise de désensibilisation: pour ne plus souffrir, il n’y a qu’à ne plus ressentir. Publié en 1986, le roman dépeignait les ravages de la guerre à travers le regard de deux enfants. "Quand on lit un livre, rappelle Catherine Vidal, on se crée un film intérieur, souvent plus fort que ce qu’essaie de nous imposer une adaptation cinématographique. Ce que je voulais, avec la pièce, c’est arriver à faire ce que le livre fait. Je voulais que la scène devienne le grand cahier."
Les scènes dures – les comportements déviants rapportés dans le roman ont suscité la polémique en France, il y a quelques années -, tout comme les diverses rencontres des jumeaux, ne nous seront jamais livrées qu’à travers les paroles et le jeu des comédiens Olivier Morin et Renaud Lacelle-Bourdon, qui raconteront au jour le jour leur entreprise, à l’instar des personnages du roman. "J’ai choisi une ligne de force qui est leur entraînement, leurs exercices d’endurcissement du corps et de l’esprit, pour ensuite basculer dans le regard des autres personnages, comment ils les voient une fois qu’ils sont désensibilisés. Le spectateur les voit s’endurcir, puis il voit le résultat."
Le grand cahier, en somme, retrace l’effort de déshumanisation des jumeaux. Consciente des dangers de présenter des personnages visiblement si froids, si distants, Catherine Vidal a tenu à mettre en lumière les zones grises. Pour ses comédiens, elle a eu ces mots: "Quand vous vous adressez à nous, j’aimerais qu’on sente les jumeaux de l’intérieur; ils possèdent une énergie, une vie intense, quelque chose de très dynamique, contrairement à ce qu’ils montrent. Il y a un profond décalage entre ce qu’ils sont à l’intérieur et ce qu’on perçoit d’eux."
Si le pari qu’ont pris Klaus et Lukas – chasser l’humain – nous plonge au coeur d’un monde devenu chaos et de ses répercussions, reste que le récit ne compte pas frapper la seule note du drame. "À la première lecture du roman, on ressent davantage la dimension dramatique de ce livre. Mais ensuite, il y a plein de petits bijoux d’humour noir qui apparaissent…"