Claude Poissant : Une chambre à Kinshasa
Claude Poissant renoue avec le théâtre réaliste avec Après moi, le déluge de Lluïsa Cunillé, un huis clos énigmatique qui interroge l’indifférence occidentale devant la souffrance africaine.
Le lieu de la pièce est classique – une chambre d’hôtel -, mais le contexte, lui, ne l’est pas. Une femme (Marie-France Lambert) sert d’interprète à un homme d’affaires (Germain Houde) pour lui traduire le voeu d’un mystérieux Africain qui souhaite lui confier son fils pour lui assurer un avenir meilleur. La rencontre entre ces deux Occidentaux se tient dans un luxueux hôtel de Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo (RDC).
"Lui, c’est un exploitant de coltan vieillissant, probablement corrompu, qui vit dans un monde de tensions et de peurs. Il se révèle énormément et crée un contraste avec elle, impalpable quarantenaire qui passe par la parole d’un autre pour se livrer", relate le metteur en scène Claude Poissant à propos de ce suspense psychologique de l’auteure catalane Lluïsa Cunillé, traduit par Geneviève Billette. "On entre dans la zone de confidences qui dissimule un drame d’espionnage. C’est une étude de moeurs, de caractères, mais aussi une étude politique et sociale sur la relation entre l’Occident et l’Afrique."
Le continent noir. Oublié, ignoré, bafoué et opprimé depuis des lustres par les guerres, l’injustice et le saccage. "Germain Houde et moi avons fait beaucoup de recherches sur la RDC, sur l’exploitation du coltan, un minerai précieux qui sert à faire nos téléphones cellulaires et nos ordinateurs", explique Poissant.
L’Afrique est le troisième personnage de la pièce, absent, constamment nommé, mais toujours invisible. L’absence est aussi celle des personnages du père et de l’enfant "qui porte toute l’indignité et la culpabilité de l’Occidental par rapport à l’Afrique, poursuit Poissant. C’est l’enfant à qui on voudrait porter secours tout en sachant qu’il y en aurait des millions à sauver".
Outre l’exploitation et l’indifférence, Après moi, le déluge aborde d’autres grands maux africains (enfants soldats, prostitution juvénile). "L’auteure nous entraîne dans le tragique avec finesse. Pas comme une flaque de sang envoyée dans la gueule, mais comme une rencontre avec l’horreur qu’on vit et qu’on provoque, sans jamais juger", constate le metteur en scène qui a récemment travaillé sur un autre texte de femme, Tristesse animal noir, qui était présentée à l’Espace Go. "L’une est allemande, l’autre, catalane, et dans ces deux écritures, il y a ce travail du délicat que j’apprécie beaucoup. Là où les hommes se lancent dans l’horreur à coups de hache, elles réussissent à la travailler au fil de soie pour arriver au même résultat."