Martine Beaulne / Madame de Sade : Je suis une pièce japonaise
Scène

Martine Beaulne / Madame de Sade : Je suis une pièce japonaise

Martine Beaulne met en scène Madame de Sade de Yukio Mishima. Présentation québécoise d’un regard nippon sur une insurrection française.

Yukio Mishima, qui en 1970 a orchestré un coup d’État raté avant de se donner la mort par seppuku, pourrait faire l’objet d’un récit. C’est néanmoins un texte de celui-ci que la femme de théâtre Martine Beaulne nous présente, son troisième après L’arbre des tropiques et Cinq nô modernes. "Quand j’ai étudié au Japon, mon premier saisissement a été de voir que le théâtre japonais, très psychologique, était aussi un théâtre où l’intime, le familial, le social, le politique, le spirituel et l’idéologique étaient mis sur scène. Toutes ces dimensions de l’humain se retrouvent dans Madame de Sade."

Alors que Donatien Alphonse François de Sade, dit le Marquis de, est enfermé à la suite d’actes "très déplacés", son épouse ainsi que cinq femmes liées de façon singulière au divin marquis voient s’ourdir la Révolution française et les bouleversements sociaux qu’elle charrie. Et que le dramaturge japonais revisite: "Comme intellectuel et comme écrivain, Mishima a eu beaucoup de difficulté à accepter la modernité du Japon. Il vivait à l’occidentale, mais quand il s’est fait hara-kiri, il revenait à des valeurs japonaises très traditionnelles, même à un certain féodalisme. La pièce atteste de ce tiraillement entre le désir d’ouverture et la foi dans les traditions. Elle contient quelque chose comme un désir de révolution, mais à l’envers."

Par-delà le social, l’immoralité du divin marquis trouve bien sûr des résonances dans l’intime, à travers les idiosyncrasies des six femmes. "Le récit présente la perversion dans tous les sens, pas uniquement sexuelle. C’est comme si le Marquis avait semé la graine du mal absolu dans ces six femmes, et on voit comment elles se débattent avec ça. Il s’est infiltré, et elles vont réagir, certaines jusqu’à l’extrême."

Dans une mise en scène où s’entremêlent le 18e siècle européen et le théâtre nô, Martine Beaulne prédit que l’hypocrisie réchauffera le banc des accusés: "Les comportements des personnages ont de quoi nous déranger, en même temps que nous pouvons nous y reconnaître. Chacun présente une façade, mais on sent que ça travaille par en dessous. En ce sens, c’est une pièce "insinueuse". Et ça, c’est très japonais."