Midsummer : Les blindés de l’amour
Comédie folk qui dissimule l’amour derrière l’ironie amère d’un couple dépareillé qui joue et rejoue son histoire, Midsummer déconstruit le mythe amoureux pour mieux le refonder. Philippe Lambert dirige Isabelle Blais et Pierre-Luc Brillant dans cette pièce de David Greig qui a charmé le public européen avec son appel à la liberté sans courbettes ni gants blancs.
La meilleure façon de faire passer une comédie romantique? En la pastichant sans pitié. Avec ses deux personnages désabusés qui brandissent leurs défenses contre le mot "amour", Midsummer se révèle pourtant… une histoire d’amour. Mais attention! Jamais ils ne diront "je t’aime" ni ne se feront le baisemain ou des déclarations sentimentales. Bob et Helena sont plutôt du genre à s’envoyer en l’air une fois la déprime noyée dans l’alcool, jusqu’à se retrouver dans un bar sadomaso à expérimenter les techniques de bondage japonaises. Les avances d’Helena à Bob n’ont d’ailleurs rien de romantique: "Qu’est-ce que tu dirais qu’on aille chez moi pour une séance de sexe extrêmement bestial et sans inhibition?" Pourtant, lorsqu’ils nous racontent leur histoire, rejouant les scènes de leur improbable rencontre entre deux chansons folk, l’avocate spécialisée en divorce et le petit mafieux sont bel et bien en train de nous faire le récit d’un amour, sans jamais le nommer.
Dotés d’une lucidité qui point au mitan de la vie, quand on ne peut plus vraiment se réinventer et qu’on ne croit plus aux révolutions, les deux héros revendiquent leur blindage. "Helena résiste à l’amour et ne veut pas s’attacher, explique le metteur en scène Philippe Lambert. Elle veut avoir des aventures avec des hommes mariés, mais on se rend compte dans le fond qu’elle est fragile et qu’elle cherche l’amour." La pièce du très prolifique auteur écossais David Greig, traduite par Olivier Choinière et accompagnée de chansons signées Gordon McIntyre, traite de la résistance qu’on développe avec le temps face au sentiment amoureux, une sorte de carapace de combat forgée à force de recevoir les coups. "L’auteur se moque de la comédie romantique et joue avec la forme avec beaucoup d’humour et de ludisme, poursuit Lambert. Il nous dit qu’il faut oser. Bob et Helena font ce qu’on refoule et qu’on n’ose pas faire. Ils s’offrent 48 heures de perdition pour s’oublier."
Helena vient de se faire larguer par son amant. Bob attend les clés d’une voiture volée et a 15 000$ "cash" à dépenser. Ils ne viennent pas du même monde, mais tombent nez à nez quand plus rien ne va. "Ils sont rendus à la même place dans leur vie, dans leur niveau d’insatisfaction, alors ils se rejoignent, explique Isabelle Blais. Si Helena avait été heureuse, ils n’auraient pas eu besoin de se sauver l’un l’autre." Réunis par désespoir, ils tombent au détour sur ce qu’ils n’attendaient plus. "Ils prétendent qu’ils ne vont pas succomber et qu’ils sont bien tout seuls par orgueil, poursuit Blais, mais ça va les rattraper." "Leur renaissance passe par l’éternel sujet de l’amour, poursuit Pierre-Luc Brillant. Ils arrivent à se sortir de leur marasme par l’amour qu’ils développent l’un pour l’autre sans jamais vouloir se l’avouer."
Spectacle de rue
Pour déjouer les règles de la comédie romantique, l’auteur a conçu un récit particulier où les personnages racontent leur histoire en répétant les scènes plusieurs fois, rejouant les moments forts avec un point de vue différent chaque fois, une distance qui leur fait prétendre au détachement. "Bob et Helena nous transmettent leur histoire avec les maladresses des gens qui ne sont pas des professionnels", explique le metteur en scène qui a transformé La Petite Licorne en salle de cabaret pour l’occasion. "Ils se font un petit théâtre de manière artisanale, chantent des chansons, utilisent des marionnettes et développent une complicité avec le public. C’est ludique, mais ils sont investis parce qu’ils ont envie de partager leur histoire et de dire au monde: vous pouvez le faire vous aussi!"
Avec ses neuf chansons, Midsummer n’est pourtant pas une comédie musicale. Les chansons font partie des dispositifs scéniques qu’utilisent les personnages pour nous transmettre leur récit, mais n’expliquent pas l’histoire. "Il y a un côté cinématographique à la pièce, avance Brillant. La narration met en place des scènes jouées de différentes façons, parodiées, transformées, comme si on faisait un spectacle de rue avec des objets qu’on traîne avec nous. On raconte notre histoire passée avec un regard un peu ironique." D’abord à la troisième personne, puis passant à la première personne, le récit suit l’évolution du regard que les héros posent sur eux-mêmes avec le temps. "On a le recul pour en rire ou se trouver bêtes", ajoute Blais. Bob, par exemple, aura un dialogue avec son pénis tanné de se faire taponner par des mains de femmes toujours différentes. Helena, quant à elle, exprime l’angoisse maternelle d’une femme qui approche des 35 ans et ne se voit plus aussi pure qu’elle le souhaiterait. " Quelle mère se saoulerait pis se gèlerait la face pour finir attachée avec un bandit dans un club sadomaso?" lance-t-elle, impitoyable.
L’urgence de vivre
Par-delà leur désillusion et le dur jugement qu’ils portent sur eux-mêmes, les personnages vivent aussi la crise de la mi-trentaine, un mélange d’angoisse et d’appel de vivre. " À 35 ans, il faut que t’acceptes que tu seras pas autre chose que t’es pas déjà", dit Bob. "Pierre-Luc n’est pas encore rendu là, lance l’actrice, sourire en coin, mais moi, quand j’ai eu mon fils, j’ai vécu ce sentiment d’urgence. J’ai eu envie de me concentrer sur l’essentiel parce que je sentais que le temps me filait entre les doigts." Ce à quoi le comédien réplique, sur le ton cynique de son personnage, que "physiquement, aussi, tu sais que tu es au sommet et que tu ne peux que décliner". Avant la fin de l’été, les jeunes adultes auront encore au moins une surprise sur leur route. Midsummer la raconte.