Serge Denoncourt : Coups bas
Scène

Serge Denoncourt : Coups bas

Après avoir conquis le public montréalais, la mise en scène d’Il Campiello par Serge Denoncourt fait son chemin jusqu’au Saguenay-Lac-Saint-Jean.

Il y a du Serge Denoncourt, évidemment, derrière le choix de l’Italie pour le nouveau cycle de l’Opsis. L’homme de théâtre y travaille souvent, on le sait, avec Arturo Brachetti et Eros Ramazzotti. Ce pays, il le connaît, l’aime, et y a des tonnes d’amis. Gageons qu’avec sa collègue Luce Pelletier, il nous en fait découvrir des facettes insoupçonnées. Sa mise en scène d’Il Campiello, par exemple, semble à des années-lumière de la tradition strehlerienne qui est d’usage en Italie en ce qui concerne Goldoni, bien loin de ce que ferait un metteur en scène comme Toni Servillo, dont on a reçu la rigoureuse Trilogia della villeggiatura.

Il Campiello est une pièce bien différente de Trilogia, plus bordélique et surtout complètement éloignée de la bourgeoisie. Le texte est plus près de Barouf à Chioggia, et fut d’ailleurs écrit quelques années plus tôt. Dans Il Campiello, Goldoni pointe sa loupe sur les pauvres habitants d’une petite place vénitienne qui font tout pour soutirer le maximum d’un étranger de passage, qu’ils supposent riche à craquer. Rien de très propre dans cet univers, même si la tradition a emprisonné Goldoni dans une image très polie. Denoncourt veut précisément lutter contre ce voile de pudeur et de joliesse qui, selon lui, dénature trop souvent le propos des comédies italiennes.

"Je soupçonnais, dit-il, que la pièce était bien plus vulgaire en vénitien, qu’il y avait plus de doubles sens, plus de grossièretés, plus d’allusions salaces. Je l’ai fait traduire par des amis qui parlent cette langue, et mon intuition a été confirmée. C’est un univers sale. Les mères sont prêtes à tout pour marier leurs filles, ça n’a rien de joli, les pires bassesses sont permises. Pour moi, c’est très proche du burlesque québécois, de Gratien Gélinas."

Soyez donc prêts: la mise en scène de Denoncourt fourmille de "jokes de cul", et même parfois "carrément à la limite du mauvais goût". "Goldoni, dit Denoncourt, a sorti le théâtre italien de la commedia dell’arte, mais ça ne s’est pas fait du jour au lendemain, et au début, il en a gardé les procédés, les situations comiques puériles autour des mariages et du sexe. En fait, il était près d’une certaine forme de commedia primitive, la plus élémentaire possible, et c’est pour ça que je rapproche ça du burlesque."

Mais rien de tout cela n’aurait intéressé le metteur en scène s’il n’avait pas senti que cette pièce a quelque chose d’urgent à raconter à des spectateurs contemporains. "Ces gens-là sont prêts à tout pour avoir du plaisir, même si le monde s’écroule autour d’eux et que bientôt Napoléon va envahir Venise. Une société des loisirs en tous points semblable à la nôtre où l’on se fout bien de la pollution et de la pauvreté parce qu’on est occupé à jouer." La pauvreté, Denoncourt l’aura côtoyée de très près en collaborant à GRUBB, un projet d’éducation artistique avec des jeunes Roms en Serbie. Quand l’art transforme nos vies…