Disparu(e)(s) : Arpenteurs du vide
Il y a quatre ans, Sarah Berthiaume a eu le coup de foudre pour Disparu(e)(s) du jeune auteur français Frédéric Sonntag, un conte d’horreur en forme de nocturne poétique monté par le Collectif numéro 7.
Un pied chez Lynch, un autre chez Godard, Sonntag écrit un théâtre à la fois concret et fantasmatique où la poésie et les corps se livrent un étonnant duel. Jamais mises en scène en Amérique du Nord, ses pièces traduites en plusieurs langues ont attiré l’oeil d’un groupe de jeunes comédiens québécois, réunis le temps d’un projet. "On s’est organisé dans l’urgence pour créer ce texte-là", explique Sarah Berthiaume, membre du Collectif numéro 7 qui a mis la main sur cette étrange fable urbaine où la disparition d’une jeune fille crée un bouleversement chez cinq jeunes assoiffés d’émotions fortes. "Dans un stationnement, une jeunesse désabusée gravite autour du cadavre d’une jeune fille à la recherche de sens dans une vie qui ne lui offre pas ce à quoi elle aspire, poursuit la comédienne. L’univers est mystérieux et glauque, mais il y a aussi quelque chose de lumineux dans cette quête métaphysique qui fait écho à des réalités sociales et les magnifie."
Écrit en 2002, Disparu(e)(s) est un des premiers textes de Sonntag, joint au téléphone quelques jours avant sa venue à Montréal. Sous la forme d’un voyage initiatique, la pièce brouille les frontières du rêve et de la réalité, de l’identité, dans un stationnement de centre commercial où surgit le fantastique. "La pièce raconte une errance pendant une nuit où le physique devient métaphysique, où la disparition d’une jeune fille crée un vide, une absence, qui aspire chacun des personnages et les met en face de leur propre vide existentiel", explique l’auteur. "Chacun cherchera une réponse à cette disparition, et le fait d’arpenter le vide, de s’y confronter et de le dépasser fera surgir les désirs secrets. Les inconscients se révèlent le temps d’une nuit et, au matin, tout revient à la normale."
La jeune fille et la mort
Durant cette nuit qui "déplace la définition même des choses", les personnages verront en effet surgir leurs fantasmes et d’étranges perversions. Dans un monde de paranoïa, avec l’imposition d’un couvre-feu depuis la disparition de la victime, les jeunes guettent un agresseur anonyme, une sorte de prédateur métaphorique qui incarne le danger et attire vers lui les oiseaux de nuit en manque d’absolu. L’une rêve d’être capturée par l’agresseur pour rester "l’éternelle petite fille en route, de passage", un autre, armé, part à la chasse, tandis que d’autres prendront une pilule pour déjouer le réel. "Quelque chose se sera passé ou déplacé durant cette nuit à travers l’expérience du vide, explique Sonntag. Mes autres pièces s’articulent aussi autour de la nécessité de la perte, d’une sorte de dépossession dont il faut faire l’expérience pour pouvoir se reconstruire une vie."
D’un romantisme noir et morbide, la pièce voyage dans l’inconscient mais entame aussi une sorte de "chorégraphie des corps", selon les mots du metteur en scène Martin Faucher qui réjouissent Sonntag, heureux de sa proposition scénique qui joue avec la dimension onirique et cinématographique du texte. "Martin évoque les films de la Nouvelle Vague, raconte Berthiaume. Il voit une parenté des personnages avec les héros de Godard, romantiques et lyriques, avec une sorte de détachement, un décalage dans le jeu et un humour aussi. Ça demande beaucoup de précision pour voyager dans cette langue poétique tout en gardant une tension dramatique de situation. Un beau défi pour les comédiens!"