Dissidents : Autopsie d'un indigné
Scène

Dissidents : Autopsie d’un indigné

En forçant légèrement le trait, Philippe Ducros interroge dans Dissidents la nécessité de révolte des uns et l’impuissance d’agir des autres devant l’insoutenable destruction du monde.

Après avoir abordé le conflit israélo-palestinien dans L’affiche en 2009, l’auteur et citoyen du monde Philippe Ducros ancre pour une première fois son action préoccupante dans le Québec actuel, celui des Indignés d’Occupons Montréal et des étudiants qui se révoltent contre la hausse des droits de scolarité. L’écriture chargée de Dissidents est toutefois antérieure à ces événements.

Sur un plateau nu, trois personnages visitent tour à tour un dissident, isolé (Patrice Dubois, qui signe l’habile mise en scène). Il y a une femme (Éveline Gélinas) qui souhaite le faire parler de son geste et de ses antécédents, un homme (Sébastien Dodge) qui lui raconte toutes les horreurs qu’il lui fera subir, puis la petite fille (Marilyn Castonguay) qui voudrait bien que son père puisse assister à ses prouesses de patin. Avec un efficace jeu de chaises, d’entrées et de sorties, les personnages se relaient pour talonner le captif qui s’entête à réinventer son histoire. Pour lui, seuls son geste et sa révolte comptent.

Cette déconstruction psychologique du révolté – qui refuse la récupération de son geste – constitue l’aspect le plus abouti et théâtral de cette pièce coup-de-poing. Père meurtrier? Terroriste? Patient d’un hôpital psychiatrique? Le personnage passe de bourreau à victime avec une incroyable fluidité. Ce flou identitaire, entretenu tout au long de la pièce, s’étend aussi aux trois étranges visiteurs, tout aussi indéfinis.

Dans le rôle central, Patrice Dubois – d’abord au neutre, puis porté par une colère explosive – est subjuguant. Incarnant un tortionnaire un peu fêlé, Sébastien Dodge ajoute un agréable zeste de folie tordue à l’ensemble, naviguant entre flegme et vulnérabilité.

Dissidents tend toutefois à se disperser dans la multiplicité des thèmes abordés. L’arme bien chargée, l’auteur tire à boulets rouges sur de nombreux enjeux de l’humanité – les dérives du progrès et du capitalisme, la mondialisation, la surpopulation, la faim dans le monde, les nappes de pétrole, les orphelins d’Afrique, etc. -, ce qui a pour effet de noyer parfois le propos, avec des passages plus didactiques comme celui sur les Khmers rouges. L’essentiel du message se trouve pourtant déjà ailleurs: dans l’incapacité du dissident à changer le cours des choses et, par la bande, dans l’échec des générations actuelles à lier le geste à la parole, à se révolter, à crier leur indignation.

Dense et bavarde, la pièce respire néanmoins dans un superbe environnement (Olivier Landreville) en deux tons: au plateau nu succèdent un décor victorien claustrophobique (en référence aux débuts de l’ère progressiste), une mer de bottes évocatrice, puis le tableau final, percutant.